Quand trois sorcières lui annoncent qu'il sera un jour roi d’Écosse mais sans héritier et qu'en revanche son compagnon de fortunes, et rapidement d'infortunes, Banquo enfantera une lignée de sang bleu, MacBeth, tout juste auréolé de sa victoire contre les armées Norvégiennes pour le compte de son cousin Duncan l'actuel roi D’Écosse, plonge peu à peu dans la folie et dans la nuit. Sa femme, la célébrissime Lady McBeth, est ce qu'on appelle une virago. Au fait de la prophétie et devant le manque manifeste d'initiative de son thane de mari, c'est elle qui monte l'opération diabolique censée les porter tout deux sur le trône du Nord. Mais accéder au trône se révèlera en fait n'être que leur épreuve la plus simple : l’exercice du pouvoir, le remords de son obtention et la crainte de sa perte consumeront les amants. The night is dark and full of terrors.
MacBeth est une tragédie. La tragédie de l'âme humaine. La tragédie de l'homme insatisfait de son sort et de sa corruption par l'ambition sur l'hôtel de l'ambition. Pour que le mal s'immisce dans l'esprit d'un homme et le soumette il faut déjà qu'il y ait une plaie, une brèche, qu'il rencontre une impureté, une infime faiblesse pour s'accrocher et se pérenniser. A ce titre l'esprit enfiévré de MacBeth est le terreau parfait, lui qui, dans l'ombre de son cousin le roi et de ses deux fils héritiers, ronge son frein et n'entre qu'en troisième position dans l'ordre de succession. C'est lorsque le mal trouve de secrètes connivences avec l'âme humaine qu'il l'empoisonne.
Quand à ses débuts, il mit en scène la pièce de Shakespeare au théâtre, Welles n'engagea que des acteurs noirs. Unique et seule parade qu'il trouva alors de faire ressentir à son auditoire les émotions que lui avait procurées la pièce. Quand il la met en scène, en 1947, au cinéma, il endosse lui-même le rôle-titre et s'ébat dans des décors en carton-pâte digne d'une adaptation lycéenne. Par souci d'économie, on se doute, mais pas que. L'allure débrayée des costumes, la forme et la conception de la couronne, des armes et des galeries caverneuses du château, toute la radicalité et l'épure artistique du film sont davantage un choix qu'un renoncement. Il en ressort une atmosphère lourde et fantastique, parfois même carrément fantasmagorique et infernale, que l'utilisation abusive de brume (qui masque en plus l'artificialité des décors) ne fait qu'amplifier et teinter d’expressionnisme. Les yeux écarquillés, enfiévrés et perdus dans l'espace, le front perlant de sueur, Welles est démoniaque, impressionnant. Quand il se filme en plongée c'est comme écrasé sous le poids de la culpabilité et de la peur qu'il se montre, en proie aux ténèbres. Quand au contraire c'est en contre plongée, c'est comme l’arrogant, tyrannique et psychotique imbécile qu'il est qu'il se révèle, en proie à la folie et aux superstitions.
Sa relecture est violente et macabre, à des lieux du classicisme du théâtre filmé. Là où Polanski fera des amants MacBeth des êtres naïfs mais cruels tout justes sortis de l'adolescence, Welles en fait de parfaits psychopathes calculateurs et sanguinaires, des démons complètement pervertis par leur ambition et sans pitié mais pourtant en proie à la culpabilité, à la peur et à la mort. Cela mènera Lady Macbeth jusqu'aux pentes vertigineuses et acérées de la folie et plongera le roi dans un délire abyssal, dans le bruit et la fureur, la vanité et l'ambition. Plus qu'une simple mise en scène de la pièce, c'est l'expérience MacBeth que recherche Welles. Les dialogues sont à peine murmurés, les ombres démesurées, la brume omniprésente jusque dans les méandres caverneux du château, tout semble irréel, fantasmagorique et cauchemardesque. C'est une vision de la pièce qu'il propose. La sienne. Celle d'un génie. Celle où reviennent sans cesse les trois sorcières démoniaques, comme imprimées sur un parchemin moyenâgeux, et celle où c'est la Mort qui l'emporte à la fin.