Il y a maintenant trente six ans, George Miller apportait un sacré vent de fraîcheur au sein de la série B avec une production aussi modeste que fracassante. Peu après, adoubé par Hollywood, le cinéaste nous éclatait la rétine avec une suite explosant le concept de base, livrant une chevauchée sauvage définitive et visionnaire. Marqué par la mort brutale de son complice Byron Kennedy et jonglant avec les impératifs d'une production plus grand public, Miller s'était plus ou moins détaché d'un troisième volet sympathique mais bien loin de la puissance de ce qui avait précédé. En bisbille avec Hollywood suite à une expérience douloureuse sur Les sorcières d'Eastwick, comédie caustique égratignant une Amérique hypocrite et bien-pensante, et après un passage vers le mélo avec le magnifique Lorenzo, George Miller était revenu sur le devant de la scène par la voie du cinéma familial. Des productions souvent jugées infantiles par des spectateurs oubliant un peu vite l'ahurissant défi technique relevé et surtout, le message désabusé et subversif qui en émanait, Miller prenant un malin plaisir à renvoyer au public son rapport biaisé envers le monde animal. Mais pendant tout ce temps, le bonhomme continuait de rêver tranquillement à une quatrième aventure de son guerrier de la route, qui aboutira enfin après des années de development hell.
Conçu avec l'énergie de nos seize ans, avec les couilles de nos vingt ans, avec le savoir-faire de nos quarante ans et la maturité de nos soixante-dix ans, Mad Max: Fury Road s'érige en magnifique alternative à un cinéma sclérosé par des productions fades et impersonnelles, sans vision ni burnes. En immense entertainer qu'il fut toujours, George Miller renvoi la concurrence dans les cordes et montre qui est le patron, proposant un cinéma de divertissement à l'ancienne tout en profitant des avancées technologiques. Si le cinéaste a bien évidemment recours au numérique, il privilégie une approche sensitive, presque analogique, comme le prouvent des cascades dantesques réalisées principalement sur le plateau.
S'appuyant sur une intrigue épurée à l'extrême, George Miller revient aux fondements même du cinéma, racontant son histoire et l'évolution de ses personnages non pas par l'intermédiaire d'un script riche en dialogues ou d'une complexité transcendantale, mais grâce à une succession d'images marquantes et parfaitement agencées entre elles, auxquelles s'ajoute une excellente bande originale signée Junkie XL, parfait mélange de riffs énervés et de sonorités tribales et industrielles.
Reprenant la structure narrative des précédents volets, en particulier celle de Mad Max: Le défi, George Miller évite miraculeusement la redite que l'on pouvait craindre, développant au contraire son univers et l'amenant vers une évolution logique. Celle d'un monde dévasté et complètement fou, vampirisé par un fanatisme religieux et une instrumentalisation horriblement d'actualité, érigeant des doctrines et des idoles à partir des vestiges d'un passé déjà mal parti. Désormais, l'on vénèrera le lait, les chromes et le V8, en attendant bien sagement de se sacrifier au nom d'un Valhalla de pacotille.
Perdu en plein milieu de ce cirque ambulant et hystérique, Max Rockatansky n'est plus que l'ombre de lui-même, fantôme du passé désormais incapable de faire la différence entre rêve, souvenirs et réalité. Même si j'aurais aimé retrouver un Mel Gibson buriné et vénère dans son rôle le plus mythique, son remplaçant Tom Hardy fait admirablement bien le boulot, composant un road warrior animal et névrosé, étonnamment effacé pour mieux faire briller sa partenaire. Car c'est bien Charlize Theron qui retient toute l'attention, trouvant ici son rôle le plus fort à ce jour. Badass à en crever, habitée comme jamais et foutrement sexy le crâne rasé et pleine de sable, elle irradie de toutes parts et bouffe à elle-seule la pellicule. Le reste du casting est également excellent, notamment un Nicholas Hoult méconnaissable, George Miller parvenant même à donner des expressions à Rosie Huntington Whiteley.
Course-poursuite frénétique étalée sur deux bonnes heures, Mad Max: Fury Road réussi également son pari principal: offrir aux spectateurs une putain d'expérience cinématographique à vous en faire péter la braguette. Bénéficiant d'une photographie de toute beauté et du talent de cascadeurs trompe-la-mort, le film de George Miller multiplie les morceaux de bravoure ahurissants, presque inédits sur grand écran, jusqu'à un climax de pure folie furieuse. En pleine possession de ses moyens, George Miller mène tout ce petit monde avec un talent fou, proposant une mise en scène frénétique et d'une flamboyante maîtrise, toute en jouant admirablement avec la profondeur de champ et la beauté de son cadre naturel. Loin d'être accessoire, la stéréoscopie magnifie les plans et apporte une immersion supplémentaire à l'ensemble.
Bien que préférant de loin la simplicité des deux premiers volets, j'ai pris un pied monumental face à ce nouvel opus bandant et jouissif, puant la sueur, la rouille et la poussière à pleine gueule. Jonglant admirablement avec la censure et les concessions d'un blockbuster friqué et sommé de rapporter un maximum d'oseille, George Miller prouve bien qu'il reste un des meilleurs cinéastes en activité, avec ce shot d'adrénaline aussi éreintant qu'orgiaque, mais avant tout doté d'un coeur qui bat bien fort en son sein.