Dire que j’attendais ce Mad Max avec une angoissante frénésie coupable est un doux euphémisme. J’en ai marre des reboots ; Terminator, Indiana Jones, Ghostbuster, Spiderman, Robocop et j’en passe, oui, ça me gave. Cette facilité, cet abandon de créativité me lasse. Oui, mais pas pour Mad Max ; je me contredis mais je m’en fou, lui, il pouvait avoir son reboot d’autant plus que Miller était à la baguette.
La nouvelle du retour de cet univers si marquant de la fin des années 70 m’a donné des sueurs froides jusqu’aux trailers. Franchement là, le dernier étant le plus terrible, j’ai tutoyé l’hystérie coupable. En pénétrant dans la salle j’étais donc dans le pire des états, j’étais bercé d’espoirs. Il est si aisé d’être déçu que la tâche allait être grande.
En parcourant les notes et commentaires, on peut se rendre compte que le film finalement divise assez nettement. On loue la frénésie visuelle, la folie, la claque offerte par un Miller de 70 ans « sévèrement burné » ou, à contrario, on peste devant les trop bonnes notes d’un public masculin incapable de voir derrière cette course poursuite improbable le vide scénaristique, les facilités visuelles, le retrait de Mad Max sous l’ombre totale de Mel Gibson en cuir.
Plutôt que de partir dans une analyse profonde je vais appuyer sur ce qui m’a happé. Bien entendu, le scénario, la profondeur psychologique des personnages ou les dialogues ne souffrent pas la comparaison d’un grand maître analysant subtilement la société ou un fait historique à l’image d’un Melville et de L’Armée des Ombres qu’ils faut absolument voir ou revoir. Non, Fury Road est ailleurs.
Miller me semble avoir pris le parti d’aller au bout de son trip post apocalyptique sans se poser trop de questions superflues mais sans occulter la volonté de nourrir un monde au background plus travaillé qu’il n’y parait. Clairement, l’action est au cœur de la trame et les deux séquences de courses-poursuites ont totalement explosé ce que j’ai pu voir chez Marvel, pour ne citer que la norme récente de film où tout explose. Les cascades sont incroyables, les explosions dantesques, les explosions portant le tout vers une orgie dionysiaque assez rare. Pour une fois qu’on me donne cette furie que j’étais venu chercher, je ne vais pas bouder mon plaisir en cherchant de la subtilité là où il n’y en a – apparemment - pas. Primaire quant à son approche, Miller a livré une copie primitive d’un monde finalement assez Howardien. La civilisation s’est éclipsée, la folie règne et il eut été incongrue de se taper une trame en six bandes à la Instellar. Fury Road est plus proche de la Guerre du Feu que du Fils de l’Homme, et c’est heureux. Grossier, binaire, nourri de passions laides ; voici quelques qualificatifs pris au vol ici ou là. Oui, ce reboot de Miller répond positivement à cette description, et s’est heureux. Ici, l’humanité a conservé quelques souvenirs lointains d’un monde laid enveloppé dans un fatras de morale occidentale et de contre culture pour survivre au rythme d’une eau rare, d’un pouvoir despotique, d’un vocabulaire appauvri, d’un encadrement sectaire et d’une quête d’un hypothétique monde meilleur. Oui, ce film est fou, grotesque parfois comme ce riftman improbable, comme ces ceintures de chasteté, ces kamikazes du Valhalla, ces gueules improbables. Brutal sans l’être assez à mon goût, le film fonce et repose brutalement sur une pulsion primitive. Simple, il ne devait pas être complexe à moins de vouloir analyser, critiquer. On a dit qu’il était écolo et féministe. Non, je le vois plutôt nieztchéen et howardien . Le Valhalla qui est touché du doigt par ces guerriers de la route, ces femmes qui donnent leur lait telle Audhumla semblent devoir nourrir une nouvelle humanité païenne. Cette dernière, race d’Airain d’Hésiode, n’attend que le courroux des dieux pour disparaître à nouveau. Ces femmes sont ici les Nornes guidant Odin vers le savoir ; Furiosa est telle Tyr qui offre son bras pour les autres. Ce monde de Miller transpire d’influences mythologiques plus ou moins digérées par cette humanité qui ne sait même plus ce qui l’a conduit à ce chaos. Que ça fait du bien de voir les monothéismes avoir été totalement occultés ! Alors il reste ici un mot, cola, qui devient l’Aquacola et une nouvelle Elivagar. On en appelle au chrome à moins qu’il ne s’agisse du Crom d’Howard …
Finalement cette expérience primaire et simpliste peut, dès lors qu’on dispose de ses propres clés, devenir plus subtile. Miller a réussi son coup. Grossier, génial, linéaire, furieux, esthétique mais trop lisse par moments, ce Mad Max où Furiosa éclipse le héros attendu reste une pure expérience de cinoche. Alors plaisir régressif, coupable, primaire, pulp, foutre, ce fut une belle journée. Une putain de belle journée.