Adapté de son court-métrage éponyme nommé aux Oscars, "Madre" signe le retour sur les écrans du désormais reconnu Rodrigo Sorogoyen. En grande forme, il signe un drame flamboyant et intense sur une mère en quête de reconstruction.


Madre c’est l’histoire d’une résilience, d’un retour à la vie. Celui d’Elena, une mère de famille meurtrie par la disparition brutale de son fils. Dix ans se sont écoulés à la suite de cet événement aussi mystérieux que tragique et Elena tente de vivre malgré tout. Raconter cela, c’est presque trop en dire tant la séquence d’ouverture vous prends littéralement aux tripes. En un plan-séquence d’une dizaine de minutes Rodrigo Sorogoyen démontre toute la maestria d’un cinéma fluide et percutant.


Haute tension


Une ouverture qui reprend le postulat intégral de son court-métrage du même nom où Elena reçoit un coup de téléphone de son fils, apeuré et perdu sur une plage des Landes, ne retrouvant pas son père. La tension est palpable, monte, jusqu’à nous saisir littéralement à la gorge et (déjà) nous dévaster. Il s’ensuit un fondu au noir sur la même plage. Un écriteau apparaît alors : 10 ans plus tard.


En une poignée de minutes, Sorogoyen démontre toute sa maîtrise. Il y a déjà énormément de cinéma, sur la gestion de l’espace, les mouvements de caméra et la maîtrise du plan-séquence. On se dit alors que l’on marche sur les plates-bandes nerveuses d’El Reino et de Que Dios nos perdone. C’est bien mal connaître le cinéaste espagnol qui prend le spectateur, passé sa séquence d’ouverture, immédiatement à contre-pied. On comprend rapidement alors que Sorogoyen va nous raconter autre chose, avec un autre langage cinématographique. Et on se dit, aussi, que s’il en est capable, c’est déjà très fort.


Par ce basculement, Sorogoyen utilise la mutation des genres. Avec une précision remarquable, le film continue à surprendre intelligemment et déjouer les attentes. De ce fondu au noir, on passe du thriller insoutenable à la chronique intime d’une femme en reconstruction, elle-même parsemée d’autres petites parcelles de genre, le tout avec une grande fluidité narrative. La tension n’est jamais loin, à l’image d’une scène rappelant le plan-séquence dans la voiture de Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuaron.


Madre, histoire d'une résilience


En esquivant nos désirs, Rodrigo Sorogoyen s’attarde sur quelque chose de plus essentiel, et finalement peu abordé dans ses précédents films : la question de l’intime. Habituellement obnubilé par la tension, en témoigne El Reino, Madre marque une évolution dans le cinéma du réalisateur espagnol.


C’est une trajectoire qui préfère la lumière à l’obscurité. Au lieu de s’enfoncer dans la terreur, Elena se libère de tout. Et c’est avec une tendresse infinie pour son personnage que Sorogoyen dresse un portrait tout en finesse. En filmant Elena à la bonne hauteur, il permet de développer une empathie essentielle à l’émotion et au rapport entre le spectateur et le personnage. Cette finesse de regard s’appuie également sur la dimension psychologique sincère et puissante qui s’articule autour du refus du jugement. Un personnage fort et complexe interprété par la magnétique Marta Nieto qui porte le film par son seul charisme, sa vivacité et sa douce mélancolie.


Dans sa note d’intention, Sorogoyen précise avoir voulu embrasser son personnage et célébrer les marginaux, ceux dont on utiliserait le mot « fou/folle » à la moindre suspicion d’anormalité :



« Comment pouvions-nous la comprendre si elle était folle ? Et si nous ne la comprenions pas, le spectateur ne comprendrait pas sa démarche et perdrait facilement le fil du récit. Il nous est alors apparu un autre sujet qu’on voulait traiter dans le film : la facilité avec laquelle la société traite de fou ou de folle quiconque qui sort de la norme »



Rodrigo Sorogoyen y dévoile un autre morceau fascinant dans ce cinquième long-métrage. Celui de l’ambiguïté morale et sentimentale. Il s’évertue à saisir les relations humaines dans ce qu’elles ont de plus indécises, complexes, impalpables. Parce que Madre est une libération cathartique autant qu’il est une histoire d’amour. Et peu importe comment nous la percevons. L’amour qui s’en dégage est vrai, peut-être transgressif, mais sincère. Et c’est cette fenêtre ouverte sur l'ambiguïté qui donne sa part belle au film puisque l’on ne sait jamais où le film nous emmène, quel amour il nous raconte.


Grand angle


Toutes les émotions et les partis pris évoqués précédemment trouvent une justification dans la mise en scène. Le premier plan du film s’attarde sur une plage française. Sorogoyen va en faire un élément central de son long-métrage, pour ne pas dire un personnage à part entière. C’est lieu sacré, un théâtre de représentation, un témoin de la disparition et un refuge sentimental pour la mère.


Pour ce faire, le cinéaste espagnol fait le choix du grand angle. Un choix payant que ne renierait certainement pas Terrence Malick, dont on a encore pu observer la maîtrise du procédé dans son dernier long-métrage Une vie cachée. Dans Madre, comme dans le Malick, la caméra est toujours en mouvement. Elle est là pour saisir le personnage dans son environnement. Et lorsqu’on dit saisir, c’est dans le temps. C’est là qu’intervient toute l’intelligence de l’utilisation des plans-séquences dans le film de Sorogoyen à la différence d'un Malick qui a recours à un montage plus intense avec de multiples jumpcuts.


Le mouvement est là aussi pour illustrer la culpabilité et le chagrin qui poursuit sans cesse le personnage d’Elena. Par moments, Madre devient du pur cinéma de contemplation, lorsqu’il s’attarde justement dans ses bribes mélancoliques. C’est tout ce maelstrom inspiré qui fait de Madre, une grande réussite, peut-être la plus belle de Sorogoyen.


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JoRod
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le 6 juin 2020

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