Une terre lointaine et exotique où vit un gorille déter ? Une jeune femme innocente qui a les faveurs dudit gorille ? Des hommes cupides venus de la ville qui décident d’y ramener le gorille pour l’y exhiber ? Le gorille qui prend ensuite la fuite, les autorités aux trousses ? Si cela vous rappelle quelque chose, c’est normal : Mighty Joe Young n’est rien d’autre qu’une relecture de King Kong pour les enfants. Relecture sortie en 1949 mais pas sortie de nulle part puisqu’elle nous vient des créateurs du King Kong original eux-mêmes ! Désireux semble-t-il de capitaliser encore un coup sur leur magnum opus de 1933, après une suite bricolée en catastrophe la même année.
A l’affiche de ce Mighty Joe Young, nous retrouvons donc : Merian C. Cooper à la production, Ernest B. Schoedsack à la réalisation, Ruth Rose au scénario (sur une idée de Cooper), Willis O'Brien aux effets spéciaux (assisté d’un tout jeune Ray Harryhausen) et Robert Armstrong à la distribution. Bref : les cinq piliers de King Kong et de sa suite sont tous de la partie pour cette troisième aventure simienne ! Qui, dans la continuité du Fils de Kong, se veut encore plus kid-friendly afin de ratisser le plus large public possible – et en particulier les tinenfants pour qui le film original était trop effrayant.
Aussi le film réinterprète-t-il le mythe de King Kong en le purgeant de ses aspects les plus durs/effrayants : Skull Island et ses dinosaures sont remplacés par l’Afrique et ses lions, et il n’y a pas d’affreux indigènes ni d’enlèvement/sacrifice, puisque la Belle (Terry Moore, plutôt mignonne) et la Bête sont copines comme cochonnes et se côtoient pacifiquement. Les deux se rendront d’ailleurs de leur plein gré (quoique dupées) aux USA et s’y produiront avec une certaine bonne humeur (jusqu’à ce qu’elles en aient plein le cul et décident de rentrer en Afrique). Même le méchant cupide (Robert Armstrong, toujours sympathique en simili Carl Denham) fera amende honorable à la fin et aidera la Belle et la Bête à fuir les USA. Si c’est pas trognon.
N’empêche que c’est là la première qualité du film : il est réglo dans son projet et a l’élégance de conserver une cohérent de ton jusqu’à son terme, là où son prédécesseur Le Fils de Kong rompait brutalement son ambiance bon enfant à deux minutes de la fin pour s’achever sur une note d’une cruauté déconcertante. Cette soudaine rupture de ton plombait le film en détruisant le peu qu’il était parvenu à construire et laissait un goût amer en bouche. Fort heureusement, ce Mighty Joe Young évite de reproduire l’erreur de son aîné et joue la carte du film familial jusqu’au bout : humour et bons sentiments sont donc au rendez-vous, jusqu’à un happy end bien baveux. Le tout presque sans violence (c’est les vacances), sans un mort à l’écran, et pas même une goutte de sang (si je ne m’abuse).
Pour autant, le film présente deux scènes d’affrontements (contre des cavaliers puis des lions) assez réussies et, bien qu’édulcorées, tout à fait satisfaisantes. Willis O'Brien a perfectionné sa technique d’animation depuis les deux films de 1933 et son gorille Joe fait montre de mouvements bien plus élaborés que Kong et Kiko en leur temps. L’articulation du bestiau est vraiment propre et les chorégraphies bien sympatoches. J’ai même été surpris de la crédibilité du rendu de certains plans, lors du combat contre les lions, qui voient le gorille leur distribuer des patates de forain et les projeter dans le décor sans une once de respect. Le résultat est si convaincant que me suis étonné à m’inquiéter du traitement de ces pauvres bêtes sur le tournage.
Autres séquences réussies, les deux trois numéros sur scène avec Joe, qui porte une estrade où la nana joue du piano ou qui « combat » (au tir à la corde) une équipe d’armoires à glace. Précisons au passage que le gorille Joe est – contrairement au fils de Kong dans le film éponyme – très présent à l’écran, du début à la fin. Ce qui est tant mieux, dans la mesure où son animation est très convaincante. Et ce qui fait tout l’intérêt du film, par ailleurs sensiblement moins fort et marquant que King Kong – puisque vraiment trop gentillet et inoffensif. Mais qui jouit tout de même d'un climax vraiment de toute beauté visuellement : une scène d’incendie de cinq-dix minutes colorisée en rouge. Le procédé (une scène colorisée dans un film en noir et blanc) n’était clairement pas inédit, mais je ne l’ai à date pas vu cinquante fois et je dois bien avouer que le résultat me séduit à chaque fois.
Bref : le spectacle est plaisant. Moins marquant que King Kong mais plus satisfaisant que son Fils. Une aimable et inoffensive relecture du mythe qui mérite le coup d’œil, ne serait-ce que par curiosité.
A noter que, comme son modèle King Kong, ce Mighty Joe Young fera lui aussi l’objet d’un remake, cinquante ans plus tard (en 1999 donc) : Mon ami Joe.