Les spécialistes vous diront que le road-movie, terme qui renvoie davantage à un dispositif qu'à un genre, est typiquement américain et né dans les années 60, disons avec Easy Rider (même si Jean-Baptiste Thoret dans son livre Road Movie USA en voit déjà des traces dans Le Magicien d'Oz). Et si tout ça n'était que dû à une vision trop ethnocentrée ? Et si, en d'autres termes, nous pourrions faire remonter ce dispositif avant Le Magicien d'Oz, non pas aux Etats-Unis mais au Japon ?


Car cet Arigatô-san (alias Mr Thank You) porte presque toutes les traces des codes du road-movie. Le film concentre son récit sur un trajet, celui du Japon rural vers l'urbanité de Tokyo, et sur une période, celle des années 30. Ce voyage se déroule en bus, et n'est qu'un prétexte non seulement à créer un dispositif de mise en scène mobile très ingénieux, mais aussi à sonder l'état du pays à travers une galerie de personnages et de situations.


La mise en scène va généralement se décliner en deux procédés qui participeront au dispositif : le travelling, par lequel on voit à l'extérieur du bus se décliner la diversité du paysage japonais (forêt, montagnes, plages etc...) et le plan fixe, qui montrera principalement l'intérieur du bus et les interactions entre les différents personnages dans ce lieu mi-clos. Ces interactions seront l'occasion de faire réagir dans un même milieu plusieurs classes sociales et mentalités. Finalement, ce qui se joue avec ces deux procédés de mise en scène, c'est la dualité entre la tradition et la modernité, entre ce qui reste figé et ce qui bouge.


Le conducteur de bus, littéralement "monsieur merci", incarne la politesse et la bienveillance qui selon les grand-mères japonaises fait cruellement défaut aux nouvelles générations. Les jeunes garçons dans leur voiture, dépassant à plusieurs reprises le bus sans dire "merci" sont quant à eux cette nouvelle génération malpolie, "moderne". Et des exemples de cette dualité tradition/modernité, il y en a des tas tant le film est construit là-dessus : la mécanique motorisée du bus face aux charrettes croisées à la campagne, les différentes commissions que le chauffeur de bus prend car les campagnards n'ont pas accès aux services de la ville etc...


Le bus est donc au centre du film, et c'est par lui que se dessinera un portrait de la société japonaise des années 30. Ce qui est étonnant est que le film maintient une sorte d'équilibre entre la dureté sociale décrite (le manque de travail, la pauvreté et tout ce que ça implique : prostitution etc.) et la légèreté du ton qui vire souvent au comique (accentué par cette musique sautillante qui reprend à chaque fois que le bus démarre), brouillant parfois la frontière entre les deux, comme lors de cette séquence où la jeune fille destinée à la prostitution tokyoïte fond en larme sur la musique joyeuse des scènes comiques.


Le film est donc un road-movie avant l'heure, qui est d'autant plus marquant qu'il est formellement superbe (les quelques plans larges en dehors du bus montre un sens du cadre où le paysage japonais reprend presque les traits de leur calligraphie) et décrit avec minutie les conséquences de l'économie désastreuse du Japon des années 30, qui est aussi une période de bouleversements, avant que la seconde guerre mondiale ait les effets catastrophiques que l'on connaît sur le pays. Mais c'est aussi un film qui arrive à relier ce constat avec des drames nettement plus intimistes, ce qui en fait toute sa force.
Du grand cinéma, qui mériterait une ressortie en France !


PS : si le cinéma japonais vous intéresse, n'hésitez pas à venir piocher dans ma liste https://www.senscritique.com/liste/Les_oublies_du_cinema_japonais/1704611

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le 26 sept. 2017

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