Nocturama est une expérience cinématographique dérangeante et surprenante. Le réalisateur, scénariste et compositeur Bertrand Bonello livre une oeuvre prenant la température de notre pays, à travers une jeunesse désenchantée et c'est une surprenante réussite.
Le cinéma français n'aime pas prendre de risque, où rarement. Il donne l'impression de ne produire que deux types de films : les comédies s'appuyant sur un comique pas drôle venant de la télévision où les drames à base de cris, de larmes et de chuchotements. Cela tourne en rond, mais parfois un film sort des sentiers battus et prend le spectateur par surprise. C'était le cas avec Elle de Paul Verhoeven, un réalisateur hollandais venu donner des leçons aux français, jusqu'à ce que Bertrand Bonello avec Nocturama me renverse sur mon fauteuil et me laisse un goût amer mais pas désagréable dans mon esprit.
Le film s'ouvre sur un plan aérien de Paris, avant de nous plonger dans le métro et ses couloirs. On suit de jeunes adultes se croisant sans échanger un mot, seul un geste ou un regard trahi leurs complicités. Ils sont en mouvements et prennent des directions différentes. Bertrand Bonello donne l'impression de filmer en caméra cachée, de voler des moments alors que ce n'est pas le cas. Il suit ses protagonistes, sans que l'on sache quel est le but de ce manège intriguant. Tout semble se dérouler sans accrocs, jusqu'à ce qu'un problème délie les langues et nous ramène dans un passé récent. A travers quelques mots, situations ou rencontres, on commence à mieux comprendre ce qui les unis et cette découverte va devenir dérangeante.
Un sujet brûlant dans l'air du temps. C'est étonnant que le film ne fasse pas polémique, mais nos chers politiciens sont plus préoccupés par les futures élections présidentielles. De toute façon, cela serait une nouvelle polémique stérile, alors une de plus ou de moins, quelle importance ? En pleine période d'état d'urgence ne servant à rien, voir que les ennemis viennent de l'intérieur et de différents milieux sociaux, cela met le nez dans la merde de ces gens qui; soi-disant; nous gouvernent pour améliorer notre vie. On éprouve un certain plaisir de voir une banque où le ministère de l’intérieur, être la cible de ces jeunes gens. Leurs actes sont symboliques, mais font aussi des victimes. Ils attestent d'un ras le bol, d'une envie de tout chambouler, mais sont aussi pleins de contradictions.
Le film se découpe en deux parties bien distinctes. Dans la première, ils errent dans Paris pour mettre leur plan en application. Dans la seconde, on les retrouve enfermer pour une nuit dans un grand magasin. On peut se demander l’intérêt de se cacher, au lieu de rentrer chez eux comme si de rien n'était, mais c'est une excuse pour les mettre face aux conséquences de leurs actes. A l'intérieur de ce lieu coupé du monde grâce aux murs insonorisés, ils sont comme dans une bulle et vont échapper partiellement à la réalité. La "vie" est représentée dans cet immense bâtiment où l'on retrouve tout ce dont a besoin l'humain au quotidien et surtout, le superflu. Ils se baladent dans les différents "mondes" et vont croiser leurs sosies, avant de céder à un consumérisme outrancier. Ils sont ce qu'ils dénoncent, le constat est violent. Ils semblent plein de convictions, mais sont encore à la recherche de leur identité. La jeunesse est une force, mais aussi une faiblesse.
On a de l'empathie pour ces jeunes adultes. Ils n'ont pas confiance en l'avenir et veulent faire bouger les choses, sauf que la manière..... On les sent surs d'eux, ils ont l'arrogance de leurs âges et se pensent supérieurs. Quand le doute va se faire ressentir et la réalité venir les gifler en pleine face, ils vont perdre le peu d'innocence et de naïveté qu'il y avait en eux. Le retour de flamme est impressionnant, en nous plongeant dans l'angoisse. On est constamment sur la corde raide et on ne peut cautionner leurs actes, mais on peut les comprendre en se demandant "pourquoi cela n'a pas péter avant ?". Ils sont en décalage avec la réalité, tout en étant conscients des problèmes de notre société, en nommant certains responsables du marasme actuel : le Medef, les banques et la politique de la peur.
En dehors de la beauté formelle de l'oeuvre, il y a ces jeunes acteurs(trices) rafraîchissants. Ce sont des gueules issues de la diversité culturelle de la France. Certains sont des professionnels, alors que d'autres sont des amateurs. Ils sont pleins d'imperfections, leurs rapports semblent plus "vrais" et les rend attachants. Ils baignent dans une musique hypnotique composée par Bertrand Bonello, mais on croise aussi Hector Berlioz, Chief Keef, Shirley Bassey où le thème d'Amicalement Votre de John Barry, que ne vous n'écouterez plus de la même façon. Un éclectisme musical comparable aux protagonistes.
C'est une oeuvre fascinante, le portrait d'une jeunesse ne voulant pas courber l'échine comme ses aînés. Sa structure remet certains événements en perspective et participe au malaise que l'on va ressentir face à leurs regards appelant à l'aide. Son ambiguïté est troublante et nous questionne sur nos propres convictions. Un film à voir et à revoir.