Un film d’une heure douze de mon coffret RKO : voilà un programme qui d’emblée fait saliver.
Le plan séquence initial, splendide, semble le canevas sur lequel De Palma ouvrira son Snake Eyes, autre film sur la boxe et les matchs truqués : distribuant avec malice tous les protagonistes et la faune régnant en ces lieux interlope, il déploie avec acuité le décor et les enjeux de l’intrigue à venir.
A l’inverse du récit traditionnel où le jeune premier est en passe de faire ses preuves, toute l’exposition consiste à solder les comptes : du couple, la compagne du boxer le quittant, des exploits, ce dernier étant au crépuscule d’une carrière peu glorieuse.
Alors qu’on truque un match pariant sur sa défaite, on ne juge même pas nécessaire de lui graisser la patte tant l’affaire est entendue. C’est donc contre le monde entier que Stoker se bat, lui seul ayant la foi, et en lui seul, y compris contre ce public que de nombreux plans de coupe viennent cruellement caractériser : femmes avides de violence, bouffeur gras, et même un aveugle se délectant de la restitution verbale de son assistant.
Cette micro société se reflète dans l’escapade de Julie, désireuse de s’extraire de ce huis-clos par une ballade urbaine, pas de danse en solo qui ne cessera de la ramener par divers rappels (la radio, les jeux) au point nodal qui voit se jouer le destin de l’homme qu’elle aime.
Laborieux et équitable, porté par une caméra nerveuse et un montage qui ne perd jamais de vue les enjeux qui le nourrissent (la femme, donc, mais aussi les managers, le public qui parie et le gangster à l’origine de l’arnaque), le combat distribue les uppercuts comme il déploie l’endurance. Car lorsqu’il apprend la vérité, Stoker met un point d’honneur à faire de cette humiliation une sortie par le haut, sachant que l’emporter sur le ring signera sa défaite dans les vestiaires.
Dans cette tragédie modeste et resserrée, d’une intensité palpable dans les poings et le regard désenchanté de Robert Ryan, c’est dans la fuite au sein d’une salle vide et sur le pavé d’une impasse que tout se conclut, et que ce titre paradoxal va prendre tout son sens : parce qu’elle achève sa valse dans les bras de son partenaire, parce qu’il quitte définitivement le ring, parce qu’ils décident de poursuivre leur danse à l’abri du monde, les partenaires ont, du haut de leur défaite, gagné, dans les larmes qui irriguent le sourire de la délivrance.