Rarement une série B aura dégagé autant de perfection. Robert Wise tire à merveille profit de son génie du montage, de lumières magnifiques et d'un récit en temps réel oppressant à souhait. Robert Ryan, dans le rôle de sa carrière est éblouissant et Audrey Totter est très émouvante dans celui de son épouse qui n'en peut plus de voir son mari se faire défoncer la gueule match après match.
Oui, nous avons gagné ce soir est un film de boxe, un des meilleurs en plus, mais un film noir sur la boxe, aussi. Versant macabre du rêve américain, le film raconte le combat d'un vieux boxeur qui affronte un horrible petit jeune frisotté, dans un décor de paris plus ou moins truqués et une ambiance de vestiaires pittoresque à souhait, qui sent bon la camaraderie, la sueur et le sang.
Les protagonistes sont tous des primitifs, des animaux presque. Les boxeurs qui se succèdent en salle de préparation, les soigneurs, les entraîneurs, les bookmakers, ce sont tous des dégénérés consanguins qu'ont croirait sortis d'un Robert Aldrich... Et, pour une fois, le public n'est pas épargné, présenté comme un amas de porcs, de hyènes, de singes minables et voraces qui fait frissonner à chaque plan de coupe.
Robert Ryan, au milieu, plus seul qu'un lépreux sur l'île du Diable, est une bête traquée qui ne manque pas de noblesse. Primitif aussi, certes, mais avec la grandeur des simples et sa stature imposante, son amour touchant, ses naïfs espoirs, lui offrent la dignité des misérables, des abandonnés...
Seul dans la fosse aux lions, pendant que Madame ronge son frein dans un Dreamland de pacotille, le bel animal se dresse encore sur ses pattes et montre ce qu'il sait faire, une dernière fois, une toute dernière fois, avant la curée.