«Picard! Ça t'tente-tu de faire une vue?»
Apparemment c'est comme ça que Luc Picard s'est fait offrir son rôle par Pierre Falardeau. Il y a quelque chose dans cette manière décomplexée d'aborder le cinéma qui me plait bien, qui fait primer le sujet sur le traitement que le cinéaste en fait. Évidemment, d'autres réalisateurs utilisant l'expression "faire des vues" s'en sont approprié le sens à leur manière, mais je crois que ma perception convient bien à Octobre. Ça pourrait en gêner certains, qui n'y verraient qu'un aspect plan-plan peu intéressant à décortiquer. Après tout, le travail de Falardeau n'essaie pas de se faire ostentatoire, l'attirail de cadrages tape-à-l'œil et de plans-séquences virtuoses est laissé au vestiaire (on retrouve tout de même un travail plus discret avec le montage sonore et l'éclairage, qui viennent tour à tour souligner la violence subie ou la marginalité du FLQ avant leur coup d'éclat). Même les dilemmes moraux des felquistes sont souvent explicités par les dialogues.
Et c'est très bien comme ça.
Cette frontalité de l'approche, Falardeau la revendique, c'est l'extension de son incessant combat pour simplement exprimer sa pensée. De son vivant il disait côtoyer des cinéastes québécois financés par le fédéral qui se félicitaient de critiquer le régime canadien par le biais de quelques métaphores bien choisies. Mais au diable les métaphores! Si le gouvernement laisse passer ça, c'est bien parce que c'est trop subtil pour causer des vagues! Alors bien sûr, le symbolisme c'est bien beau, mais si tu cherches à faire du premier degré la tolérance devient moins grande. C'est ainsi que la censure a frappé On est au coton, le film de Denys Arcand sur les conditions de travail difficiles dans l'industrie du textile au Québec et l'exploitation par les boss "canadian". Elle a aussi frappé L'Acadie, l'Acadie?!?, l'excellent documentaire sur les étudiants acadiens et leur lutte pour l'égalité. Bien sûr, ces films n'ont pas été détruits, leur sortie a simplement été reportée de plusieurs années pour dérober leur pertinence, pour éviter qu'ils s'ajoutent à l'actualité qui amenait elle-même au ras-le-bol. Octobre c'est le même combat, le projet ayant été en flottement pendant plus de dix ans. À mainte reprises Falardeau a du rencontrer des gens du gouvernement pour passer en revue son scénario et défendre le choix de chaque mot. On voulait qu'il change jusqu'à certains déterminants qui laissaient entendre une grogne trop généralisée dans la population. Il fallait être plus neutre, comme si la neutralité était une fin en soi.
Dans cette perspective où le peuple vaincu se fait dire comment il peut parler de lui-même par les vainqueurs, faire du cinéma pour la beauté du geste devient secondaire. Raconter sans concession, là est l'objectif de Falardeau. La réalisation s'efface pour guider notre attention vers les comédiens qui prennent l'Histoire à bras-le-corps. Pas d'esbroufe, ici le spectateur reste fixé à l'écran simplement par la force du tiraillement humain et des questionnements moraux sous-jacent à la crise d'octobre. Falardeau filme pour qu'on se souvienne de l'épisode autrement qu'au travers d'une liste de faits vidés de leur substance, il témoigne franchement des luttes qui ont animé un peuple pour que celui-ci apporte cette mémoire dans les luttes plus apaisées de demain. Il apporte son regard engagé, bref, il fait des vues.