Le purin odorant de la marée des pauvres

Ils sont partout. Ces saletés sont partout. Sur les trottoirs, dans le métro, sur les routes, et même parfois dans nos domiciles. Ils puent. Ils grouillent. Ils prolifèrent. Et ils sont moches. On essaye de les éviter, mais ce n’est jamais bien facile. Dès qu’ils vous croisent, ils quémandent de quoi bouffer. Dieu merci, les saisons se chargent d’épurer la vermine. Mais il faut tout de même attendre l’hiver pour enrayer la contamination. C’est qu’ils fileraient presque le cafard, ces salauds d’pauvres.


Chers amis lecteurs, ce n’est pas un scoop. Quand on regarde le monde autour de nous. Quand on écoute les infos. Quand on observe les personnes qui disent penser pour nous. On se dit : quelque chose ne va pas. Ras-le-bol. Y’en a marre. Le nombre de gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté monétaire ne cesse d’augmenter. Et les riches, eux, le sont de plus en plus. C’est une inégalité concrète qui aurait bien droit à la faveur de revenir sur le devant des préoccupations. Et qu’il est bon de retrouver le goût et l’odeur du bon sens avec un maître comme Bong Joon-Ho. Fabricant notoire de remarquables machines à philosopher, son film-métaphore « Parasite » propose un faisceau de dénonciations sur la réception des différences entre les riches et les pauvres, mais aussi entre les pauvres et les autres pauvres. Et c’est bien là tout l’esprit du film de mettre en scène un tel désordre social.


Ki-woo est un jeune homme. Il est mince, poli, désinvolte, mais surtout…il est pauvre. Pauvre comme toute sa famille contrainte de vivre dans une cave. En bas de la société à étages qui orchestre tout le rapport de classe, la famille Ki-taek incarne le peuple du sous-sol qui a adopté le mode de vie des cafards. Et à l’instar de ces bestioles indésirables, les Ki-taek disposent d’une aptitude à s’adapter autant à la vie difficile en sous-sol qu’à infiltrer les habitations luxueuses. C’est ainsi que le drapeau sud-coréen se plante au cœur de théories complexes. Une zizanie récurrente chez Bong Joon-Ho qui s’émancipe de tout simplisme afin de dépeindre de grandes ambivalences dans sa thématique. Car, quand les parasites infiltrent la bourgeoisie, ils se motivent d’abord par une folie psychopathique qui impose un dualisme entre deux catégories de pauvres.


C’est un petit remplacement qui se fait à travers une lutte intestine. Pauvres contre pauvres. Le fils Ki-woo initie le début de la colonisation des parasites chez les bourgeois en éliminant méthodiquement les servants. Le père Kim ki-taek essayera de justifier l’immoralité de la chose en prônant implicitement un credo simple : « il y a toujours plus misérables que soi ». Et il est vrai que le chauffeur dont il prend la place obtiendra sans doute facilement un nouveau travail. Mais avant la fin, il rencontrera aussi plus pauvre que lui. Ainsi, la famille parasite impose la conviction profonde qu’il ne peut pas y avoir de coopération unitaire prolétaire face à l’ennemi commun. L’ennemi commun, le riche bourgeois, qui n’a que faire des luttes à mort entre pauvres et dont il élève ses propres soucis de privilégiés à la primauté de tout le reste.


D’une arrogance folle, la famille Park n’a que de faux problèmes. Des enfants pourris gâtés, une lutte maladive contre l’ordinaire, la conservation d’une hiérarchie sociale, l’hygiénisme riche. L’odeur d’ailleurs, devient une sorte de marqueur social. Comme si la pauvreté avait une odeur et que le riche vivait avec la crainte d’être contaminé par celle-ci. Et tandis que les riches et les pauvres sont contraints de se côtoyer au point d’être suffisamment intimes pour se sentir, le riche ressent constamment le besoin de maintenir une séparation artificielle. Tel Monsieur Park qui rappelle très souvent qu’il ne peut pas supporter ceux qui tentent de franchir la ligne invisible de la bienséance.


Cette place accordée à l’odeur amène à ce final aussi sanglant qu’imprévisible. Une vision pessimiste de la situation qui annonce métaphoriquement que les choses seront toujours ainsi. Le riche doit mourir. Le meurtre est sacralisé. Le pauvre revient à son état d’origine. C’est tout l’échec d’une solution sociale qui est représenté. A l’instar de la scène de la tempête qui fait gentiment couler l’eau chez les riches alors que l’inondation fait remonter les excréments des toilettes chez les pauvres. Tout en bas de la société, les prolétaires seront toujours dans la merde.



Conclusion :



Parasite traite la thématique de la lutte des classes à l’aide d’une société à étages. En haut les plus riches, en bas les plus pauvres. Soit un niveau de vie supérieur, et un autre inférieur. Un carcan social dicté par la puissance du fric dont une famille s’extirpera quoi qu’il en coûte. Une plongée bouleversante au cœur d’un monde (le nôtre) dénué de toute vision morale des rapports humains.



Gloire au Wi-fi tout puissant !


JasonMoraw
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le 16 oct. 2021

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Death Watch

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