Tim Burton avec Michael Keaton, Christopher Nolan avec Christian Bale, Zack Snyder avec Ben Affleck. Batman est un des super-héros qui cumule le plus de nouvelles adaptations jonglant entre des versions différentes mais si identiques en même temps. Alors, à l’annonce d’un nouveau film il y a de quoi déjà sentir les relents de l’overdose. Que peut-on bien attendre d’un énième Batman ? Eh bien, pour plusieurs raisons il s’avère que Matt Reeves fait un petit miracle audacieux, étonnant, et même atypique avec ce personnage multi-exploité.


L’enjeu majeur de The Batman est le reboot complet de sa franchise qui se pense déjà comme un nouvel univers indépendant. En témoigne les déclarations audacieuses qui voient le présent-métrage comme la première pierre d’un édifice de nouveaux films et de nouvelles séries. Une ambition sincère qui nous fait bien ressentir que ce Batman bénéficie d’un véritable plan solide sur l’avenir avec la construction tranquille d’un Bat-verse : série centrée sur le commissaire Gordon, film solo pour Catwoman, et une trilogie pour l’homme chauve-souris. Tout est envisagé avec optimisme.


Nous revoilà donc dans un Gotham avide et malade, toujours en proie à la criminalité et la corruption. La fascination plastique pour la ville impose la mise en place des nerfs qui en font toute sa structure et tout son charme : c’est une Gotham qui n’a plus rien à voir avec celle de The Dark Knight. Moins contemporaine plus gothique, elle est trempée par la pluie drue et poisseuse signalant ainsi son embourbement dans la glaise du mal. C’est un étrange mais superbe décorum qui lorgne davantage vers un style psychologique à la Se7en, voire par moment un soupçon de Blade Runner dans son atmosphère, et même une pincée de l’affect fantasmatique à la Watchmen. Et tandis que la nuit tombe sur Gotham, la photographie de Greig Fraser (nouvel expert d’Hollywood notamment avec Dune) sublime la peur panique que nous pouvions avoir du noir avec des images qui vont jusqu’à incarner l’abîme dans lequel la ville entière sombre totalement.


Cette imagerie est importante à cerner car elle place en exergue la psychologie de tous les personnages. Ils sont les éléments homogènes de leur environnement et incarnent l’instabilité mentale globale de la société. Batman a toujours été un personnage trouble et troublé flirtant régulièrement avec les limites du bien et du mal. Mais dans un milieu aussi corrompu, le bien et le mal se confondent facilement. L’opacité de ces deux notions, on la ressent parfaitement lors des interventions de cet ange de la nuit : Robert Pattinson est un Batman dérangé. Tout au long du film il y a cette sensation que Bruce Wayne n’existe plus depuis longtemps et que son alter-égo a totalement pris le contrôle. Un justicier qui n’est pas vraiment là pour protéger les innocents, mais pour infliger des punitions adéquates aux criminels. Quelque chose chez ce Batman a envie de se laisser submerger par la haine dans un désir de vengeance si passionné que chaque adversaire semble être un avatar du meurtrier de sa mère Martha. La corde sensible de la folie est constamment usée, et le héros n’est pas loin de violer ses règles morales.


The Batman nous avait prévenus dès sa première bande-annonce, il serait question d'une réécriture totale de sa philosophie et de sa représentation au cinéma. Mais aborder son héros sous son aspect le plus dérangé ne suffisait pas à Matt Reeves, il fallait aussi le présenter comme un reclus de la société totalement traumatisé par son passé qui n’est nulle part à sa place. Si ce n’est habillé en véritable démon que le roi de l’enfer lui-même a préféré recracher. Venu ici-bas pour châtier les pécheurs d’une ville gangrenée par le mal et qui bouillonne de haine. En ça, la photographie fait encore des merveilles en façonnant le miroir de la part sombre de Gotham et de son ange gardien.


Matt Reeves est donc le peintre d’un portrait abstrait du mal. Tout le carburant du film est pompé dans cette vision d’avalanches de catastrophes et de vacarmes apocalyptiques : attentats, évacuations de masse, provocations adroites, crimes spectacle. Et des antagonistes qui renouvellent l’ambiguïté d’un héros tel que Batman qui, même s’il combat le mal, n’en suscite pas moins de la malveillance car il est en fait responsable du stade supérieur de criminalité atteint par la ville : un héros fantasque appelle indéniablement des adversaires aussi singuliers que lui. De Paul Dano complétement habité par son rôle du Riddler à Colin Farrell méconnaissable en Oswald Cobblepot le pingouin. Ils constituent ensemble un véritable déploiement d’énergies qui fait toute la vitalité du film en l’immergeant dans un bain d’abjection et de cruauté. De quoi faire de The Batman un polar noir qui parvient parfaitement à concilier son esthétique travaillé avec ses effets au service d’un climax qui relève presque du génie.


Pourtant dans ces torrents de violence, il y a cette volonté chez Matt Reeves d’asseoir sa maitrise face à une concurrence dont les codes sont de plus en plus éculés. Ainsi au milieu de ces univers foisonnants de super-héros, The Batman parvient brillamment à se distinguer sans sombrer dans les excès typiques du blockbuster en multipliant les références suprêmes vers les codes du film noir et même des airs ouvertement fincheriens. Tout particulièrement lorsque le film s’aligne sur le rythme de l’enquête et nous fait redécouvrir l’aspect « meilleur détective du monde » de Batman jusqu’alors presque oublié.


Le film nous tient en haleine avec sa dramaturgie, son mix entre action stimulante et récit éveillé. Mais on retient aussi l’épaisseur de son œuvre qui rend une fidèle appropriation de tous les thèmes permis par le monde de Batman. Car si l’histoire du film peut paraître simple, elle n’est pas forcément simpliste. Aisément, on peut psychanalyser les enjeux comme seuls permettent de le faire les plus grands films de super-héros. The Dark Knight était déjà un bouillon de thématiques, c’est la même chose pour The Batman. Derrière le divertissement, il y a ces diverses luttes entre des valeurs et des influences. L’opposition entre ordre et chaos, mais aussi l’évidente complémentarité de ces deux notions. Quand un justicier, maudit, cherche à dompter les ténèbres de Gotham alors qu’il en est la figure la plus emblématique. De quoi façonner une amitié entre blockbuster et démarche artistique.



Conclusion



Avec ses ténébreux atours, The Batman tient davantage du polar noir que du blockbuster. Une vision cristallisée par les choix esthétiques qui tranchent indéniablement avec les effets réalistes du Batman de Christopher Nolan. Le scénario et les thématiques résonnent avec les décors et les costumes qui représentent bien l’état mental des personnages. Notamment un Batman torturé comme jamais et totalement dérangé, où le rôle de la justice et sa portée symbolique n’auront jamais été aussi nébuleux. The Batman, un chef-d’œuvre culte ? L’avenir nous le dira. Pour l’instant, il est au moins une nouvelle pierre angulaire de la pop culture.



I’m vengeance


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le 2 mars 2022

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