Ce qu’il y a de formidable chez Quentin Dupieux, c’est que l’on s’interroge à chaque film sur son intention initiale. Question à laquelle chacun trouve sa réponse, aussi multiples que les pistes et chemin de travers que le réalisateur nous fait prendre. Mais il ne fait pas que jouer avec le spectateur en se contentant d’implanter une ambiance étrange et décalée, il y met les formes.
Il retient chaque plan méticuleusement, tisse une trame implacable où l’incongru se mêle à la réalité, choisit des paysages ou décors atypiques (la maison du producteur est faramineuse) qu’il nimbe d’une lumière aux lueurs presque délavées ou post apocalyptique. Quentin Dupieux sait jouer sur l’esthétique de l’inexplicable.
Car « Réalité » est un film sur le non sens intellectuel, un peu à l’image d’un Escher sur le non sens visuel. Dupieux et Escher partagent ce goût de la perfection au service de l’imagination. L’aventure de Jason Tantra, incarné par un Chabat enfin totalement décomplexé et désopilant, va le pousser à arpenter des situations absurdes qui se jouent, se croisent, se rejouent dans un cheminement qu’il veut croire réel, mais qui se modifiant défie toute logique. L’aberrance du récit qui devient le sujet fascine, amuse et éveille constamment l’esprit qui cherche le rationnel.
Mécaniquement le film est parfait jusque dans la musique qui témoigne elle aussi du malaise vécu à l’écran comme dans la salle. Il est par contre dommage que tout le casting ne soit pas à la hauteur de la prestation et de la conviction de Chabat, Jonathan Lambert est à côté de la plaque (comme souvent) et dénature le personnage du producteur que l’on aurait voulu plus nébuleux. De même Elodie Bouchez ne prend pas conscience de son rôle et donne dans le comique de boulevard. On pourrait aussi reprocher parfois quelques facilités scénaristiques faisant appel à des univers cinématographiques à la Lynch, Bunuel, Epstein ou encore Richter.
Entre rêve et névroses, « Réalité » reste néanmoins une belle satire sur le cinéma, et même de manière plus large sur la création. Dupieux est à la marge de cet univers. Il est libre. Et sa conception de la liberté, qu’il distille dans chacun de ses films (qui avant de la voir à l’écran aurait misé 1 centime sur « Rubber » ?) n’est pas figée, elle est dynamique, en constante progression et va bien au-delà de la conscience, se redéfinissant constamment, brisant les conventions et la norme. « Réalité » est un film hors normes.