Le deuxième film de Wes Anderson est son acte de naissance cinématographique, tant du point de vue de son identité que de sa reconnaissance par le public. Toujours épaulé à l’écriture par Owen Wilson, il prend pour personnage central un jeune homme de 15 ans (premier rôle de Jason Schwartzman, qui deviendra un fidèle de l’équipe), qui se révèle bien entendu totalement inadapté au milieu scolaire élitiste qu’il fréquente.


Personnage phare du tandem de scénaristes, Max Fisher est le père de tous ceux à venir : à la fois génial et incapable, poète et asocial, il multiplie les projets et sature le récit de la même façon que le cinéaste sature l’écran : d’écriture, de parole, d’éléments visuels. Grand frère spirituel des merveilleux fugueurs de Moonrise Kingdom ou de la dramaturge précoce de La famille Tenenbaum, il crée un monde davantage qu’il ne se confronte au réel.


Rushmore n’ose pas encore aborder le thème fondamental qui va structurer presque tous les films à venir d’Anderson, à savoir la famille. Il lui faut encore passer par l’amitié avant de s’y atteler, et sur ce thème, c’est encore l’illusion et l’échec qui priment. Sur trois âges différents, le trio improbable des protagonistes déploie toutes les inadaptations possibles : Bill Murray (génial, est-ce nécessaire de le préciser) face à des jumeaux qu’il ne comprend pas, Olivia Williams en deuil, réfugiée dans les langues mortes et l’aquariophilie (annonçant, par l’entremise de Cousteau, Life Aquatic), et Max qui les réunit contre son gré. Chacun à sa manière se trompe dans son combat, s’accrochant à une quête déraisonnable : une jeunesse perdue, un mari défunt, un amour impossible. Les stratégies improbables, grande spécialité des films d’Anderson, jalonnent ainsi un combat perdu d’avance, et dérivant ici vers une guerre ouverte aussi virulente que comique.


Grandir, c’est accepter le renoncement, et, surtout, ouvrir les yeux sur ce qui se situe devant nous, et non au-delà de la ligne d’horizon. Régresser, d’une certaine manière, vers son âge réel. De ce point de vue, Anderson gagne ici un jalon qui faisait défaut à son premier film : l’originalité n’est plus une fin en soi, mais un questionnement sur l’accomplissement de soi et l’appréhension du monde.
Si Max est éjecté de sa bulle initiale, c’est pour reconstruire ailleurs et emporter avec lui les bribes de son univers si singulier : on peut en dire autant du cinéma d’Anderson, désormais prêt à conquérir le vaste monde.


(7.5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Wes_Anderson/1463750

Créée

le 5 oct. 2016

Critique lue 1.8K fois

56 j'aime

4 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

56
4

D'autres avis sur Rushmore

Rushmore
Kenshin
8

Do the Max. [Semaine spéciale Wes Anderson - Ep04]

Où l'on découvre un adolescent qui s'investi dans un maximum de choses. Où l'on mange des carottes avant d'aller faire une marche malgré la brise. Où l'on voit de l'escrime. Où l'on balbutie quelques...

le 28 mai 2012

67 j'aime

12

Rushmore
Sergent_Pepper
7

Youth without truth

Le deuxième film de Wes Anderson est son acte de naissance cinématographique, tant du point de vue de son identité que de sa reconnaissance par le public. Toujours épaulé à l’écriture par Owen...

le 5 oct. 2016

56 j'aime

4

Rushmore
Jambalaya
9

Fischer King

Je le confesse, j’ai mis du temps à apprécier le cinéma de Wes Anderson, tout du moins ses derniers films qui semblent les plus extravertis et les plus personnels. Si j’ai beaucoup aimé À bord du...

le 14 mai 2014

45 j'aime

10

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53