Puisque tu as de beaux yeux, tu vas regarder !
Pier Paolo Pasolini confronte directement le spectateur à son œuvre et cherche manifestement à le faire réagir. En effet, il est impossible d'éprouver le moindre plaisir en regardant Salo. D'ailleurs, c'est seulement après une heure et demie de souffrance gratuite que le spectateur comprend véritablement (une fois le système en place complètement exposé) l'intérêt du caractère explicite du film.
En effet, la violence exposée à travers ce film n'est pas purement gratuite mais permet, par sa symbolique, une critique complète (et par moment visionnaire) du pouvoir absolu. La référence à la RSI n'est en vérité qu'une simple facilité de lecture.
Le film se divise en quatre parties : l'antinferno, puis le girone delle manie, le girone della merda, et enfin le girone del sangue.
L'antinferno est le moment de la sélection des corps et nous montre également le règlement de la villa.
Le girone delle manie est le chapitre de la déshumanisation. Les pratiques sexuelles exposées montrent le retour à l'animal puisque toutes sont stériles (masturbation, sodomie, etc.). De la même façon, apparaît clairement la différence entre les dominants et les dominés (ces derniers ne sont considérés que comme une masse et à aucun moment en tant qu'individus).
Le girone della merda est dans la continuité de la stérilité du girone delle manie puisque le spectateur est confronté à de nombreuses scènes scatophiles. Là encore, la stérilité du régime est démontrée puisque tous vont manger les excréments qu'ils ont eux-mêmes produits. Il s'agit ici d'une dénonciation sans retenue de la société de consommation.
Le girone del sangue est le moment de la purge des corps. L'ensemble des dominés qui ont enfreint le règlement pendant le séjour ont été inscrits sur un cahier et vont être torturés ou tués.
La mise en scène reflète à la perfection le schéma démonstratif du film. Le spectateur finit rapidement par s'apercevoir que tout n'est que répétition. Les discours introductifs de la narratrice sont toujours filmés de la même façon et les sévices exercés par les dominés sont toujours exécutés selon le même rituel.
Salo est également un film anti-pornographie. Ici, toutes les scènes sexuelles sont codifiées (comme dans les films X) et ne permettent qu'une jouissance ponctuelle pour les dominés. La pornographie est décrite très clairement comme un manque d'imagination dont tous les protagonistes souffrent.
Rien n'est plus contagieux que le mal.
La dernière partie du film montre également la corruption qui s'est installée au sein des dominés. La scène démontrant les dénonciations en chaîne est en ce sens magistrale. Un premier dominé, apeuré (mais pourtant pas sous le poids d'une menace directe), dénonce une autre fille qui va elle-même dénoncer un couple de lesbiennes dont l'une va finalement dénoncer le seul véritable résistant du régime. Ce dernier est d'ailleurs le seul à pratiquer une sexualité non stérile et son acte de résistance, bien que vain, est l'unique moment où les dominants vont douter.
Si les dominés sont considérés comme une simple masse substituable par les dominants, le pouvoir est également transmissible. En effet, les dominés acceptent d'échanger entre eux les rôles. Il y a donc une unité entre les dirigeants. La mention erronée au Surhomme de Nietzsche par un dominant reflète parfaitement l'état d'esprit des bourreaux. Aucune possibilité n'est offerte pour les victimes (qui ne peuvent pas parler) d'accéder au statut de dominé. D'ailleurs, le seul garçon qui a pleinement collaboré (dans l'espoir d'obtenir une certaine reconnaissance ou de la pitié) paie le prix fort de son illusion.
Salo est donc un film extrêmement difficile à regarder mais nécessaire. Si la brutalité formelle de l'œuvre peut heurter, Michel Pérez écrivait en 1976 dans Charlie Hebdo que « nous sommes au temps de la confusion et de la veulerie, et un film comme Salo, qui est tout sauf veule et confus, qui montre clairement, dans une lueur d’incendie, sur quelle pente nous nous engageons, ne peut, évidemment, que retourner à ses placards. Il faut faire ce qu’on peut, qu’on aime Pasolini ou pas, pour l’en faire sortir. Mais qu’est-ce qu’on peut ? »