Avec ses grandes oreilles et son petit air de voyou des champs, Johnny ne semble jamais là, pas à sa place, en décalage. Il s’occupe comme il peut de l’exploitation agricole familiale entre beuverie au pub du coin et plans cul à la va-vite, clôtures à réparer et brebis qui mettent bas. Et puis Gheorghe arrive, et tout change, tout se bouleverse… Venu aider, pour une semaine, Johnny dans son travail chaque jour plus dur et plus contraignant depuis la maladie de son père, ce saisonnier roumain va peu à peu apporter douceur et stabilité dans la vie de Johnny, cette vie pas commode, cette vie grise et solitaire recluse au fin fond de la campagne anglaise.


Francis Lee sait magnifier l’atmosphère et le caractère âpre des collines du Yorkshire (où il a grandi), transformées ici en écrin sauvage, en paysages poétiques propices aux amours clandestines et émois bouillonnants, telles les landes de Wuthering Heights chez Emily Brontë. Ainsi, celui de Johnny et Gheorghe se concrétise parmi la pierre et le vent, l’herbe et la boue (leur premier corps à corps, à même le sol), comme sorti de terre, extrait et façonné par les éléments. De cette relation d’abord un rien brutale, se construisant presque sans un mot, va naître une complicité inattendue quand Gheorghe finira par «apprivoiser» Johnny, lui apprendra quelques gestes plus doux, des gestes plus intimes, lui apprendra à embrasser et à étreindre seulement.


Josh O’Connor et Alec Secareanu forment un duo magnifique, simple et attachant, que Lee filme avec une belle évidence (qui rappellera celle d’Andrew Haigh filmant Tom Cullen et Chris New dans Week-end). Dommage que le film perde, dans sa dernière partie, de ce charme quasi primal (musique discrète, dialogues réduits au minimum, décors rudimentaires, pureté des sentiments…) dans la découverte de l’autre, pour se concentrer sur une partition plus convenue (tromperie, séparation et reconquête), et surtout beaucoup moins forte émotionnellement (esthétiquement aussi). Comme si Lee, conscient soudain de l’aspect trop rugueux de son film, cherchait sur la fin à le rendre aimable, abordable davantage, quitte alors à en soustraire ce qu’il avait de si précieux et de si particulier.


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mymp
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le 6 déc. 2017

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