Vision opaque, déliquescente, d’un monde profondément apathique, perdu dans ses contradictions et dévasté par ses propres démons, ce polar sombre comme le fond d’un gouffre explore les dérives effroyables d’un système de lois et de valeurs où le jugement moral d’un homme est capable de se transfigurer en croisade fanatique et sanglante dépassant le sens commun. Analyse noire et défaitiste sur la rémission de nos consciences, Se7en se pare des figures classiques d’un thriller conventionnel (deux flics que tout oppose, des indices à décoder, une traque inexorable…) pour finalement immerger le spectateur dans un puits de ténèbres paradoxalement éblouissant et malmener ses certitudes sur la passivité/réactivité de ses actes face aux maux de notre société.
Fincher et Walker ont su s’approprier et renouveler le thème rebattu du serial killer en esquivant ses contraintes et en réinventant ses préceptes ; rien n’est établi, rien n’est sûr, rien n’est rassurant, tout se délite au fur et à mesure d’une intrigue cafardeuse sachant conduire le spectateur vers des chemins moins marqués (et un final éprouvant), détournant sans ménagement ses repères habituels. La violence n’y est jamais gratuite ni trop représentative (peut-être un peu complaisante) et joue davantage sur les effets dévastateurs de ses conséquences (terrifiante scène de l’interrogatoire d’une des victimes du péché de luxure, avec un Leland Orser en transe), voire sur la symbolique de sa nature punitive et revendicatrice, éventuellement divine pour Doe qui, par la main droite de Dieu (ou de Satan), condamne les pauvres pêcheurs.
De ce point de vue, la sinistre métropole pluvieuse peut être vue comme un purgatoire en décomposition, et le désert brûlant du final comme les prodromes de l’Enfer, promis pour tous. Les références culturelles et littéraires du scénario (Bach, Dante, Thomas d’Aquin…) soulignent cette volonté de faire du film un adagio crépusculaire sans précédent et de le porter à un niveau supérieur, unique, autre que celui d’une énigme policière ressassée mille fois à laquelle Fincher ne s’intéresse de toute façon qu’à moitié, y préférant la stylisation emblématique (et révolutionnaire) d’une décadence collective.