Face à Snowpiercer, deux choix s’offrent au cinéphile : voir un blockbuster de qualité, ou voir le décevant nouveau film de Bong Joon-Ho.
Pour peu qu’on m’ait trainé dans un cinéma pour un film d’action d’anticipation et dystopique, je me serais clairement attendu à quelque chose en deçà du résultat. La maitrise visuelle est nette, le travail sur le double mouvement d’un groupe avançant dans un train qui lui-même tourne en rond pertinent et rappelé avec une certaine malice. La progression vers la tête du train occasionne une variété de décors assez intéressante, voire baroque, et l’on peut reconnaitre que certains des écueils du genre sont évités, comme le manichéisme excessif où les situations courues d’avance mettant en valeur les principes moraux du protagoniste. Allons même jusqu’à saluer les incursions de l’univers de Bong Joon-Ho dans un produit qui sur bien des points le dépasse : son humour, la nonchalance de Song Kang-Ho, et la singularité décalée de certains personnages, comme celui de Tilda Swinton, ou de certaines scènes comme celle de l’école ou du nouvel an en plein combat, dont la savoureuse incongruité n’est pas sans évoquer une autre dystopie, celle de Terry Gilliam et de son Brazil. On saluera aussi la gestion du temps par le réalisateur, qui sait ménager certaines progressions et ressentir la durée du trajet au spectateur, sans se laisser aller à la facilité des ellipses coutumières du genre, précipitant un succès écrit d’avance pour le protagoniste.
Maintenant, pour qui a vu Memories of Murder, The Host ou Mother, difficile de ne pas voir ici qu’un grand cinéaste s’est fourvoyé. Parce que, soyons honnête, pour apprécier les qualités énoncées précédemment, il n’en faut pas moins se farcir un collier de pavés comme seul le cinéma à gros budget sait en produire. La réflexion éculée sur le leadership, la première partie qui ne peut pas occulter l’artificialité de ses décors et de son exposition des personnages candidats à la mort sacrificielle, l’ennui de bien des dialogues et le service sur plateau d’un bon nombre de passages forcés : combats (étonnamment bâclé en ce qui concerne le massacre général à la hache), vrais méchants qui ne meurent pas, et pitié, le kronol annoncé INCIDEMMENT comme inflammable au début pour devenir bombe à la fin. Ajoutez à cela des incohérences et des béances scénaristiques (que je vais faire l’économie de lister, mais tout de même : pourquoi, déjà, a-t-on embarqué les loosers de la queue du train ? A quoi servent-ils ? Si c’est pour les enfants, il était inutile d’en embarquer 1000, non ?) et pitié, justement, le thème des ENFANTS, parce que c’est pathétique, les enfants, ça suscite l’indignation, les enfants, c’est mignon, et ça justifie le départ comme l’arrivée.
Snowpiercer, meilleur film d’action de 2013 ? Peut-être, je n’en vois pas assez pour dire. Mais les autres, au moins, m’amusent parce qu’ils ont moins de prétention à jouer sur plusieurs tableaux. Quand un cinéaste d’un tel talent est aux commandes d’un film qui n’évite pas les rails du formatage, on est en droit de tirer la sonnette d’alarme.
http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Bong_Joon_Ho/1455030