L'esprit dans la machine.
A l'instar de ses compatriotes Park Chan-Wook et Kim Jee-Woon, le sud-coréen Bong Joon-Ho tente à son tour de séduire le marché international avec cette co-production entre la Corée du Sud, les USA et la France. Mais à l'inverse des metteurs en scène de "Old Boy" et "J'ai rencontré le diable", qui bradaient leur talent au service de simples commandes hollywoodiennes, Bong Joon-Ho va justement se servir des moyens mis à sa disposition afin de concrétiser un vieux rêve, celui d'adapter pour l'écran "Le Transperceneige", classique de la bande dessinée française qui échappa de peu à l'oubli avant l'amorce du projet.
Que ceux qui attendent une transposition fidèle du matériau d'origine passent leur chemin, le réalisateur de "Memories of murder" ayant fait le choix de ne conserver que le point de départ et quelques éléments épars issue de la trilogie. A l'intrigue directement héritée du roman noir du volet initial, le cinéaste préfère se concentrer sur son fond marxiste et orwellien, illustrant la révolte des classes ouvrières face à une élite se vautrant dans le luxe pendant que le petit peuple mange ses pompes.
Un canevas extrêmement convenu, constituant 80 % de l'anticipation contemporaine, mais que Bong Joon-Ho et son scénariste parviennent à rendre crédible et intéressant à défaut d'être orignal, couplé à des dialogues s'attardant sur la complexité et l'horreur d'une telle situation, à des personnages avant tout humains (le "héros" est ainsi loin d'être immaculé) et à une progression basée sur celle des jeux vidéos, chaque wagon pouvant être perçu comme un niveau à franchir avant d'affronter le boss ultime.
Mais ce qui différencie avant tout "Snowpiercer" de n'importe quel autre blockbuster du genre vu cette année (au choix "Elysium"), c'est la présence d'une véritable vision à bord, celle d'un cinéaste passionnant capable de jouer magistralement avec les genres, de les jumeler sans que cela ne paraisse jamais hors sujet. Il émane ainsi de "Snowpiercer" une certaine étrangeté, voir même une folie douce, portée par cette liberté de ton typique du cinéma de Bong Joon-Ho, maniant la rupture comme personne, capable de nous glacer d'effroi et de nous faire rire dans une seule et même séquence, comme en atteste ce nouvel an surgissant en plein milieu d'une bataille pour le moins sanglante.
Le travail effectué sur le son et la musique est également époustouflant, contribuant énormément à l'ambiance à la fois décadente, décalée et anxiogène suintant de "Snowpiercer", blockbuster malade permettant également à son cinéaste de faire preuve une nouvelle fois d'un sens aigu de la mise en scène, utilisant à la perfection l'espace exigu dont il dispose, donnant aussi l'occasion à son casting international et hétéroclite de briller de mille feux, que ce soit Chris Evans, parfait en antihéros faillible, Tilda Swinton, complètement barrée, ou encore Song Kang Ho, charismatique et paraissant presque planer au milieu de tout ce bordel.
Si l'on pourra émettre quelques réserves au sujet d'un final loin de l'ambiguïté de la bande dessinée, sur quelques longueurs et sur d'énormes clichés et aspects kitschs, "Snowpiercer" réussit le tour de force de rendre ces défauts attachants, presque essentiels au bon fonctionnement d'un film bancal et perfectible mais ô combien précieux par ces temps de produits calibrés et propres sur eux. Rarement la forme d'un film aura épousé à ce point les propos de son intrigue.