Une saison en enfer
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Comme outil de propagande, rien de mieux que d’utiliser les formes avantageuses de ses actrices dans leurs « deux pièces » aguicheurs. La publicité a le mérite de ne pas être mensongère. Loin de faire l’unanimité, Spring Breakers a malgré tout fait le buzz avant de sortir dans les salles de cinéma. Surtout que le nom du réalisateur n’est pas inconnu : Harmony Korine, scénariste de Kids et auteur du sulfureux Gummo. Spring breakers et sa petite armada de « filles » déboulent comme une tempête avec ses codes cinématographiques plein la tête : mise en scène "clippesque", univers grotesque appuyé aux années 2000 version MTV, musique hype avec le dubstep de Skrillex.
Toute cette mayonnaise idiote fonctionnera pour faire de Spring Breakers une œuvre aussi ridicule que fascinante dans son évocation d’une Amérique aux rêves brimés. La première séquence du film, qui transfigure cette transe ultra sexualisée et alcoolisée permet à elle seule de dépeindre le contexte dans lequel le film s'immisce: le spring break est une zone de non droit, une purge qui désinhibe les fantasmes de toute la jeunesse américaine universitaire. Ni de bien ni de mal: un chaos bruitiste.
Outre certaines influences cinématographiques qui hante l’œuvre, Harmony Korine s’inspire de sa propre fascination pour une jeunesse aux physiques boursouflés par l’apparence et qui déchante dans le surréalisme, tout en exprimant sa liberté dans sa propre vacuité incessante. L’histoire est simple : on suit l’escapade d’une bande de filles voulant aller au Spring Break américain. Arrivées là-bas, elles feront la connaissance d’un rappeur gangster qui va les entraîner dans une spirale de violence. Dès le départ, ce qui fait le sel de Spring Breakers, est qu’il s’approprie parfaitement l’état d’esprit du film de bande : on est en présence d’un véritable clan de copines qui chantonnent du Britney Spears à tue-tête sur un parking cramoisi.
Harmony Korine arrive rapidement à faire vivre cette ferveur collective, cette sensation de se sentir meilleur en groupe. Aller au Spring Break n’est pas qu’une simple escapade pour ces jeunes filles en fleur mais devient une manière d’exister, de s’accomplir tant individuellement que collectivement. Elles crient, rient, chantent, dansent, boivent, baisent, jouissent ensemble. Comme une manière pour elles de découvrir les limites du raisonnable dans un environnement où le rationnel cohabite avec la folie douce. Spring Breakers n’est pas un American Way of Life habituel où l’envie de devenir une star prédomine sur le reste comme dans Showgirls de Paul Verhoeven ou le tout récent The Neon Demon de Nicolas Winding Refn. Le récit initiatique est d’envergure à la jouissance existentialiste que dans la célébrité, trouver un idéal fiévreux, une échappatoire à un quotidien tiède.
Malgré l’érotisation prononcée de l’imagerie du film, la proximité émotionnelle est de mise et l’attachement se fait immédiate pour ces filles grâce à leur naïveté et leur complicité. Il est facile de faire un lien entre le film d’Harmony Korine et The Bling Ring de Sofia Coppola. Mais là où cette dernière se fourvoyait dans une superficialité inoffensive et factice, Korine a une réelle empathie et est en symbiose total avec sa bande de filles. Jamais complaisant ni moralisateur, le film se dépareille du teenage movie ordinaire, ne délimite pas le bien du mal et ne juge pas les dérives qu’impliquent les agissements immoraux de ses protagonistes, mais les insère dans un contexte aussi fluctuant que destructeur. L’humain est mis de côté pour faire resurgir ses pulsions inaudibles.
L’une des grandes forces de cette farce acide est de se concentrer sur ses facultés visuelles fourmillant d’idées de mise en scène comme en témoigne cette scène de braquage par un plan séquence somptueux en vue subjective dans la voiture extérieure. Le charme opère et Spring Breakers ne laisse pas indifférent. Mais au contraire du reste de la filmographie de son auteur, l’univers décomplexé ressemble plus à un Doom Generation qu’à un Ken Park. Alors qu’Harmony Korine suivait les traces documentaristes trash et réalistes de Larry Clark, Spring Breakers s’inspire plus du versant fantasmatique et impressionniste d’un Gregg Araki, aidé en cela par le formidable travail de Benoit Debie (chef opérateur de Noé) en désynchronisation parfaite avec la bande sonore de Cliff Martinez.
Il n’y a qu’à voir ce superbe final, tout en saturation chromatique, se finissant en gunfights surréaliste et deuxième degré digne d’un FPS nouvelle génération. Et c’est là que Spring Breakers tire toute sa force : un trip visuel et sonore étourdissant, dont cette succession scènes en slow motion comblée de plans de braquages sous fond sonore de Britney Spears. Et malgré une mise en scène outrancière, qui ne lésine pas sur ses effets, Spring Breakers joue sur ses ruptures de ton, entre contemplation mélancolique et sa frénésie de rollercoaster comblé de doutes.
Quitter un quotidien morne et ennuyeux pour aller vers un paradis artificiel, tel est l’envie de cette petite bande de « girls ». Malgré son côté trash profondément idiot, vulgaire, cliché, le film dégage une certaine beauté qui ne laissent pas de marbre. Se retrouvant sur la route des 4 filles, James Franco, joue le rôle d’une sorte de rappeur gangster. Complètement déluré et au bord de la caricature, l’acteur délivre une prestation aussi misérable que drôle, avec comme apothéose, cette scène improbable de fellation soumise. Son arrivée coupe le film en deux. Cette deuxième partie du film, ne s’intéressa pas au Spring Break mais plus à l’émancipation des filles dans leur choix et dans une certaine violence qui les dépasse.
Créée
le 16 févr. 2014
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