Entre Permanent Vacation et Down by Law, Stranger than Paradise pose les jalons du cinéma naissant de Jarmush, bien décidé à explorer l’oisiveté sous toutes ses coutures.
Encore un brin brouillon dans son audace un peu poseuse (« Regardez bien, surtout, il ne se passe rien »), le jeune cinéaste impose néanmoins une maitrise formelle indéniable. Les cadres, soulignés par des séquences la plupart du temps en plans fixes, la photographie d’un noir et blanc superbe, et un montage cut particulièrement abrupt qui vient rompre cet esthétisme trop léché : dans cette instabilité entre pose et spontanéité se logent des instants de vie sans grand intérêt, une errance où l’Amérique est la terre de migrants sans points d’ancrage.
Assez mal joué, brandissant son amateurisme avec une insistance un brin irritante, le film déroule une mélancolie un peu lassante mais non dénuée de charme. Si l’on gagne de l’argent, c’est pour mieux le perdre ensuite ; si l’on s’engage sur une voie, c’est pour se perdre davantage. Sans parcours, ennuyés, les personnages pourraient tout autant ne pas parler et figurer dans un beau livre de photographies sur l’Amérique des marges. Mais c’est probablement dans cette volonté de déglacer les possibilités du glamour que se situe aussi le projet de Jarmush, à qui il manque encore néanmoins la maitrise de l’humour et une tendresse palpable pour la lose. Autant d’ingrédients qu’on retrouvera dans l’opus suivant, Down By Law.