Et si Vertigo était tout simplement la synthèse du cinéma d'Hitchcock ? Le sommet d'un immense metteur en scène qui compte un peu plus d'une cinquantaine de films achevés et l'oeuvre où il pousse le plus ses limites ? En tout cas, on n'en est pas loin et, à l'heure où le maître du suspense était de plus en plus ambitieux et innovant, il sort en 1958 cette oeuvre fascinante, défiant l'épreuve du temps et dont un seul visionnage ne suffit pas à en cerner tous les contours.
On peut y déceler plusieurs niveaux de lecture tant Vertigo est d'une immense richesse, d'abord d'écriture mais surtout de mise en scène. Le titre d'origine est d'ailleurs représentatif de l'oeuvre tant Hitchcock nous entraîne dans un vertige émotionnel. Assez vite il rend son oeuvre intrigante, notamment grâce aux personnages, d'abord James Stewart en ex-policier puis surtout la magnifique et troublante Kim Novak qui, dès sa première apparition, nous envoûte et permet à Hitchcock de mettre en place une atmosphère de plus en plus obsédante, fascinante, dérangeante, hypnotique et complexe. Il nous immerge dans son oeuvre, nous fait sentir proches des personnages et péripéties et arrive à nous faire passer par tout un panel d'émotion, tout en laissant un parfum envoûtant planant du début à la fin de son oeuvre.
Entre amour, acrophobie, angoisse et perversité, le maître rend son film haletant, nous entraînant dans ce vertige étrange, parfois complexe et renversant. La construction du récit (divisé en deux parties) est en tout point remarquable, Hitchcock débordant d'idées et renforçant peu à peu l'ambiguïté des enjeux et personnages, faisant poser beaucoup de questions aux spectateurs et en y distillant intelligemment les réponses. Il joue avec les peurs, névroses et obsessions des personnages, ainsi que l'illusion de chacun et leur capacité, ou non, à se sortir des pièges tendus. C'est aussi avec le spectateur qu'il joue, ne lui donnant que le point de vue de James Stewart et, avec cet unique angle, il est impossible de définir tout ce qui entoure celui-ci. L'amour reste régulièrement au cœur du récit, qu'il soit morbide ou non et, derrière les jeux de dupes et de manipulations, masqué par la vision de la femme idéalisée. L'intensité est de plus en plus forte jusqu'à atteindre son paroxysme lors de séquences époustouflantes dont le final.
La puissance dramatique et narrative est doublée d'une remarquable puissance visuelle où Hitchcock accentue l'atmosphère de fascination et de mystère grâce à une photographie adéquate et son utilisation des couleurs. Derrière la caméra, et en plus de diriger merveilleusement de formidables acteurs, il est, là aussi, au sommet de son art, enchaînant de magnifiques travellings (notamment ceux compensés), des plans de toute beauté ainsi que son lot de scènes mémorables, et ce dès l'introduction de l'oeuvre. Et enfin n'oublions pas de mentionner le travail musical de Bernard Herrmann qui ne fait que renforcer l'atmosphère mystérieuse, romantique et obsédante de Vertigo.
Hitchcock, alors au sommet de son art et à un tournant de sa carrière, nous immerge dans un vertige émotionnel et fascinant où il met en place une tragique et obsédante histoire d'amour, le tout servi par une ambiance angoissante et glaciale, une remarquable mise en scène, une écriture d'une intelligence rare et de formidables interprètes. Une oeuvre d'art qui n'en finit pas de hanter le spectateur. Éblouissant.