Après des films politisés qui en ont fait un des principaux artisans de la 'nouvelle vague coréenne' (Une femme coréenne et Le vieux jardin), Im Sang-Soo s'en prend à un classique national. Comme le réalisateur l'indique, Hanyo [soit La servante – 1960] « appartient à l'histoire de chaque sud-coréen ». L'influence de son directeur, Kim Ki-young, sur les générations d'auteurs à venir, est comparable à celle de Renoir ou de Cocteau en France. La reprise d'un tel classique est donc un défi. Si le film est moins directement politisé, il fournit toujours de quoi polémiquer pour des raisons de style. Celui de Sang-Soo est partagé entre sophistication et goût de la foire.


The Housemaid balance entre plusieurs orientations, toujours présentes, plus ou moins prégnantes selon le moment. Drame à huis-clos, il lorgne constamment vers le thriller érotique, anxiogène et charmeur ; l'issue est grotesque et spectaculaire, proche du résumé sauvage. Au début, le film est surtout délassant, amusant et il le sera toujours, même dans ses moments les plus terribles. Les mésaventures d'Eun-Yi, la jeune servante fraîchement embauchée, prennent un tour sombre et poignant (la tentation de la farce n'estompe rien). L'ingénue paie les frais des caprices et des nécessités de ses maîtres : c'est une ressource humaine au sens le plus entier, une ressource dont le tort est d'avoir trop bien servi. Son lamentable parcours devient une peccadille hautement contrariante sur le noble chemin de ses employeurs – en pratique, ses propriétaires. Eux ont une histoire à flatter, des ressources à défendre et un destin à entretenir. Sang-Soo passe au-dessus de la critique sociale, installant simplement les éléments, assez costauds en eux-mêmes pour avoir besoin d'être guidés. Exposer vaut mieux que discourir, au cinéma plus encore. The Housemaid se fait donc petit illustré, attractif et outrancier, du cynisme des dynasties.


Hoon et sa famille sont très humains, mais humains comme le seraient des demi-dieux bassement attachés au sol terrestre par la libido et les instincts matérialistes – sûrement les plus grossiers, mais le niveau d'opulence où ils emmènent leurs préoccupations change en apparence la nature. En d'autres terme, la richesse anoblit et permet d'asseoir tous les vices, en même temps qu'elle pousse à quelques sacrifices (les plaisirs ou libertés des petits hommes) et à vivre dans un état de guerre perpétuel (où on dispose du meilleur jeu). La belle-mère de Hoon (jamais nommée, presque un archétype vivant, un démon gardien), incarne au maximum cette élévation sinistre. Physiquement c'est une peste trentenaire : on croirait voir le coach de sa fille. Les questions de famille et d'héritage aidant, on se demande ce que sera sa vieillesse : pourra-t-elle la tromper jusqu'au-bout, maintenir un fantasme d'éternité, ou bien Narcisse va-t-il se flétrir comme les mammifères triviaux dont elle se distingue ? Son absence de pitié (sauf en cas de nécessité) pourrait se retourner contre elle-même : tragedy must go on.


Une autre portion interpelle aussi fort : la relation entre les deux bonnes, Eun-yi étant recrutée par Byung-sik, déjà en poste depuis une décennie. Leurs rapports seront ambigus, double au minimum – sans compter les parties générées par les outrances drama de la fin. La vieille est tenaillée par de nombreux conflits, de loyauté, de devoirs, d'envies : la soumission de la jeune à ses maîtres excite sa frustration, Byung-sik elle-même se sentant humiliée par ce métier. La séquence de leur rencontre (au café) ressemble à un négatif de l'ouverture de La Cérémonie (signé Chabrol), avec Byung-sik efficace mais amère dans sa position dominante, Eun-yi absolument offerte, sans exigence. Dans son film suivant, The Taste of money (2012), Sang-Soo proposera une alternative au présent scénario, avec cette fois un jeune arriviste et des prédateurs auto-destructeurs, au lieu de la petite crétine sans ambition et de la famille de fauves glacés présents ici. Le bal des caricatures cédera la scène pour celui des bouffons de luxe.


https://zogarok.wordpress.com/2016/02/28/the-housemaid/

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le 28 févr. 2016

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