Histoire de la violence
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Visionner cette première réalisation conjointe de Thomas Jenkoe - déjà producteur de l’excellent documentaire de Guillaume Massart, « La Liberté » (2019) - et de Diane Sara Bouzgarrou s’apparente tout à la fois à entrer dans un long poème et à partir à la découverte de l’un de ces « continents noirs » chers à Freud. D’emblée, l’image avertit du caractère inédit de ce voyage : quelques êtres, des parcelles de nature, surgissent dans une image rectangulaire très réduite, surcadrée d’une large bande noir qui la dévore et donne au spectateur le sentiment que ce qu’il aperçoit se trouve au bout d’un très long tunnel. Après une ouverture du champ durant l’essentiel de la projection, le procédé sera repris à la fin, pour prendre congé. Image de ce qui est certes encore visible mais s’éloigne déjà, en résonance avec l’ultime annoncé par le titre : « The Last Hillbilly ».
Le médium chargé de nous rendre témoins de cet anéantissement est Brian Ritchie, qui revendique et explore la caractérisation d’ordinaire injurieuse de « Hillbilly » : « habitant des collines », devenu « bouseux, péquenaud », par extension dépréciative. En effet, il est l’un des derniers habitants du Kentucky de l’Est, dans les monts des Appalaches. Cette région pauvre et sauvage des Etats-Unis connaît un fort déclin économique et démographique, du fait de la fermeture des mines qui y maintenaient un semblant d’activité. En trois chapitres - « Under the family tree », « The Wasteland » et « Land of tomorrow » -, le couple de réalisateurs lillois accompagne la réflexion de ce père de famille, porte son regard sur l’histoire, le devenir et le destin de sa région ; et de ses enfants... Un regard infiniment nostalgique, puisque spectateur d’un déclin, mais qui se convertit en mots avec force et lucidité. Car c’est à lui que, sans aucun autre commentaire de leur part, les réalisateurs confient le discours. La vigueur, le calme farouche et le rythme presque dansant de la diction contrastent avec la déliquescence qui est dépeinte ; et la beauté spontanée des mots choisis, tout à la fois ajustés et poétiques, la profondeur de la réflexion et son humanité dense créent un foyer de vie qui vient démentir le processus de mort qui est en cours.
Le travail sur le grain de l’image, dont les couleurs semblent tendre vers ce que pouvait être un film en super 8, achève de convertir le documentaire en une expérience intime, familiale, loin de l’imaginaire attaché à la conquête de l’Ouest ou du folklore des grands espaces exploité par les westerns. La musique de Jay Gambit, qui procède d’une intéressante élaboration à partir de sons naturels ou industriels, se glisse sans heurts entre les images et le texte. Et la diction envoûtante de Brian Ritchie, le caractère poignant de son questionnement s’impriment profondément et durablement chez le spectateur. Si bien que le documentaire se détache de l’anecdote et du particularisme attachés à une région pour accéder à une interrogation bien plus ample, touchant à l’enracinement de l’homme et à la trace qu’il laisse.
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le 19 oct. 2020
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