Marche funèbre
Ce n'est pas très conventionnel, mais commençons par une mise au point entre rédacteur et lecteurs : je fais partie des rares personnes qui n'ont pas aimé Birdman, le précédent travail d'Alejandro...
le 25 févr. 2016
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ou "De l'art de bien filmer le parcours initiatique d'un homme-escargot".
Inárritu, depuis tout petit déjà, avait une fascination prononcée pour les animaux qui peuplaient son jardin de Mexico. Il aimait les oiseaux qui volaient haut dans le ciel, les serpents rampants ... tout ce que peut aimer un petit garçon attiré par la foisonnante vie du règne animal.
Plus que tout, Inárritu appréciait les escargots. Les rares jours où dans le ciel brumeux de Mexico s’amoncelaient de lourds cumulus, il sortait en courant sous le porche de l'abri de jardin. Les premières grosses gouttes de pluies s'écrasant dans la poussière lui procuraient une joie indicible, joie atteignant son paroxysme lorsque pointait hors de leur coquille les fiers gastéropodes.
Les années passèrent et c'est au hasard d'un trip au peyotl en compagnie d'un groupe de rock ambient transcendantal que le jeune Inárritu retrouva à travers son délire une connexion à ses amours d'enfance, les volutes brumeuses de son trip halluciné l'amenant à retrouver dans les lignes confuses se dessinant devant lui la spirale harmonieuse de la coquille d'escargot. Il n'y tenait plus, l'expérience l'ayant profondément secoué, il lui fallait acquérir suffisamment d'expérience pour pouvoir exprimer au monde la toute puissante symbolique de cet animal, faire comprendre la beauté de ce qui était devenu son animal-totem.
Il allait donc devenir cinéaste !
Il se fit la main sur des sujets plus triviaux, raccrocha finalement avec assez de maîtrise sur les oiseaux dans un long plan séquence traitant de la vie d'un birdman, et conquit la critique et le public. Il était temps, plus que temps de mettre à exécution son projet.
Il allait filmer son expérience, son parcours, sa prise de conscience de la sainte viscosité et de la supériorité indéniable de l'escargot dans le règne animal.
Le casting fût long, lent, plusieurs passèrent. Ce fut Léonardo Di Caprio, en constante recherche de projets forts, qui finit par être retenu. Son aptitude à se fondre dans son personnage, la puissance de ses glandes salivaires et sa capacité à expectorer avec un naturel confondant, tout était parfait.
Pour nous faire comprendre que son film parlait avant tout d'une expérience spirituelle et d'une communion de l'homme avec l'animal et de l'animal avec son environnement hostile, le réalisateur privilégia le format long, presque trois heures. De longs et lents plans d'ensemble dans un environnement gelé, immobile. Le silence oppressant de la neige, le sang et la boue de la rivière, l'horizon embrasé par le soleil couchant : avec ça, le succès critique, des images belles à en revendre les chutes de pellicule à BBC documentaries, le monde serait conquis. On voyagerait, on contemplerait, on s'astiquerait le sens critique.
Parce que le film devait être long, on allongerait jusqu'à la limite du supportable une fine intrigue, métaphore du parcours lent du placide escargot qui étire sur des heures un mince filet de bave, trace incolore de son passage.
Léonardo Di Caprio est un trappeur, un homme qui fuit la justice à cause d'un passé que l'on devine teinté de sang. Léonardo aime tendrement son petit rejeton métis, un peau-rouge, un Pawnee il me semble. Très vite on comprend qu'il est de ce fait tenu à l'écart du monde des hommes blancs. Sa relation avec une indienne dont on devine subtilement l'issue tragique par le biais de flash-back faisant écho à la fois à l'histoire personnelle d'Inárritu– le trip au peyotl évoqué plus haut- et à l'histoire cinématographique en rappelant sensiblement les flashbacks de Gladiator, musique larmoyante en moins.
Survivant à une attaque d'indiens, le groupe de quarante trappeurs se retrouve circonscrit à dix survivants commençant péniblement un long voyage initiatique qui débute le long d'une rivière brumeuse.
Déjà s'établissent des antagonismes entre un Tom Hardy vénal et fourbe, métaphore à peine déguisé du malin ne résolvant ses conflits que par la violence et Léonardo que la connaissance de la nature et la progéniture place à un niveau spirituel animiste renforcé par un certain mutisme et une figure fermée caractéristique des populations autochtones.
À partir de ce point, Inárritu multipliera les plans rapprochés, enfermant les personnages même au sein d'un paysage ouvert, rappel subtile à la situation de l'escargot bien au chaud dans sa coquille. C'est assez dérangeant, mais on comprend ce parti-pris lorsqu'on entrevoit le but final, que nous vous avons exposé plus haut, toute la pertinence de ces choix s'impose à nous.
C'est la rencontre avec une ourse de passage dans la forêt qui scellera le sort de notre bon Léo, déchiqueté par cette masse poilue et oscillant entre la vie et la mort, puis laissé pour décédé par ses camarades après avoir vu son fils se faire tuer. Enterré vivant, il renaîtra pour mieux se transformer.
Car, et c'est le passage que je souhaite développer avec vous pendant quelques lignes, Inárritu bombarde le spectateur de messages évoquant les formidables gastéropodes de son enfance.
Notons en premier lieu la gourde de l'ami Léo qui va le suivre dans la tombe, placé au dessus de notre mort-vivant, elle est alors chargée d'un symbolisme renforcé par quelques fugaces images de coquilles d'escargots. Tout annonce ici la renaissance. Citons donc Jean Pierre Servier
« Il se trouve lié au cycle des champs, devenu le symbole de la fécondité donnée par les morts, la parure presque nécessaire de l'ancêtre revenu sur la terre des hommes pour la féconder, porteur de tous les symboles de la face du ciel et des orages bienfaisants.»
Léonardo l'homme est mort, il s'apprête à renaître rampant en Léo l'escargot.
Notons que dans l'idéologie chrétienne omni-présente dans le film (présence de l'ours, parcours initiatique d'un personnage revenu d'entre les morts), l'escargot revêt peu ou prou la même symbolique :
« On reconnaît dans l’escargot une image du sexe féminin. De là, un symbole de fertilité, mais aussi une fécondité virginale, l’animal étant hermaphrodite. Une métaphore mariale donc. »
Présentée ici, l'idée donc d'une reproduction entre l'homme et la nature, d'une fécondité entre Léonardo et la terre ?
Il nous est permit de nous interroger.
Mais poussons plus avant et poursuivons dans le film, puisque Léonardo, dans un vibrant hommage aux films de Romero, sortira de la terre, perçant symboliquement cette couverture qui le retient, renaissant. Au premier plan nous frappe encore cette imagerie de l'escargot comme évocation de la figure christique :
« l’escargot est une figure christique : s’enfermant dans sa coquille comme dans un tombeau pendant tout l’hiver, pour ensuite renaître tous les ans à Pâques – le 25 mars – il rappelle la mort et la résurrection du Sauveur. »
Pour ceux ne le savant pas - moi même je l'ai appris grâce à Okrutt que je remercierai plus largement en conclusion de ce court texte – les escargots s'enferment au bout d'une période de jeûne à l'aide de leur bave et autres sécrétions qui viennent s'agglutiner à l'ouverture de leur coquille, les enfermant pour une période d'hibernation dont ils ne sortent que lorsque ils se trouvent en contact avec de l'eau.
Léo bave abondamment, Léo rampe jusqu'à son fils dont il couvre le corps. Léo renaît, glissant tant bien que mal sur la neige, emmitouflé dans l'épaisse fourrure qui lui sert de coquille. Léo crache, maudit, survit contre les éléments, lui-même escargot symbole de la temporalité qui traduit bien cette quête – à travers cette renaissance – qui mènera Léo à redevenir Léonardo, à retrouver son humanité par cette transformation.
Citons cette fois Germaine Dieterlen,
«[la forme en spirale est] un glyphe universel de la temporalité, de la permanence de l'être à travers les fluctuations du changement».
Cette revanche est donc un vulgaire MacGuffin prétexte à cette renaissance à travers les éléments, Léo l'escargot passant par le stade de poule d'eau avant d'enfin redevenir homme et accomplir son but. Avec cette altération profonde dans ses rapports à l'autre qui dénote du changement mystique accompli en lui : sa première rencontre avec l'autre – ici, un indien dévoreur de bison cru – le ramène à son état de gastéropode, se couchant directement sur le ventre, éructant, bavant et rampant. L'expérience change profondément son rapport à l'homme dont il n'est plus le frère ; l'homme-escargot ne communique plus que difficilement, péniblement, l'usage de la parole ne lui étant plus naturel tandis qu'il se fait comprendre par acte et par geste plus que par mot.
Tout ce développement pénible sur l'escargot et sa place dans le film pour dire quoi, finalement. Pour montrer que le symbolisme quelque peu grossier oscillant entre christianisme et animisme est vain, particulièrement dans la scène finale. Pour dénoncer - un peu - la fatuité d'un réalisateur qui se regarde filmer avec satisfaction en oubliant de raconter, donnant à son métrage la teneur d'un long documentaire vidéo sur les beaux paysages canadien sans autre but que d'évoquer, de pousser l'introspectif et la contemplation à fond tout en tentant de faire passer une pensée qui ne m'a pas séduite.
La démarche ne manque pas d'idées, le métrage est profondément personnel, il me laisse insensible, je n'en vois que les maladresses ou les prétentions qui me laissent de marbre.
Pourtant, moi aussi, j'aime voir les escargots glisser le long d'une tige un jour de pluie, mais dix minutes quoi, pas trois heures.
Et des remerciements sincères pour le point sur les escargots à Okrutt et pour sa bonne humeur et les quelques saillies partagées durant le métrage à Lyusan.
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Créée
le 24 mars 2016
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