La famille, comme avant chez Kore-eda, comme auparavant chez Ozu avec qui la filiation est évidente (pensons par exemple à Voyage à Tokyo), tient le rôle principal dans The third murder, car elle forme le lien essentiel entre les assez nombreux personnages et représente le véritable moteur narratif. A la fois source de plaisir et surtout de douleur, elle perpétue ici la vie et la mort en engendrant enfants et crime, amour naturel et violence destructrice, absence apaisante et présence étouffante. C'est ainsi que, à travers un miroir sur les relations père/fils se dédoublant à n'en plus finir (rappelant par cette structure, mais en moins élaboré et plus confus, le précédent Tel père, Tel Fils, véritable bijou de composition) Kore-eda joue sur des effets de symétrie pour mieux unir puis séparer, rapprocher puis éloigner, réunir puis opposer ceux qui habitent son film.
Ceux-ci, dans ce polar aux couleurs de la nuit et à l'obscurité des lieux fermés, se meuvent tous dans l'ombre d'une vie cachée, mystérieuse et indémêlable. À mesure qu'ils se découvrent – pour mieux montrer leur masque pourrait-on dire – le récit se tisse, puis se défait et se retisse au fil des nouvelles révélations et autres dénis de l'accusé. Le témoignage de ce dernier devient d'ailleurs central car récit dans le récit, réécriture de la réalité à travers les divagations de son imagination et les caprices insondables de sa création narrative venant y poser des nouvelles strates comme sur un palimpseste. Et puisque Kore-eda nous confisque les faits objectifs (il semble que pour lui l'histoire compte plus que la vérité), c'est la voix de Misumi qu'on écoute nous guider et nous égarer parmi les méandres de son rêve de la réalité - qui elle-même est un autre rêve puisque fiction.
Si Kore-eda s'était lancé déjà lancé dans le genre sans vraiment l’approfondir dans le précédent Après la tempête, il s'y livre ici sans remords ni changement brusque et soudain de direction. Avec un certain brio, faut-il dire, grâce à un soin particulier apporté à l'image (les scènes au parloir particulièrement) et surtout au scénario (écriture intelligente quoique un peu trop insistante sur les parallélismes des relations parents/enfants), le tout dans un rythme jamais nerveux comme il est d'usage mais plutôt (parfois trop) léger comme un songe éveillé – revêtant quelquefois la forme d'un cauchemar – laissant le temps à la réflexion – la nôtre cette fois-ci. Toutefois, la question de la pertinence de la Justice, vaguement soulevée, aurait pu être plus travaillée et donner ainsi plus de contenu à un film un peu superficiel et manquant de profondeur.
6,4/10