La bande-annonce donnait le ton, laissait présager du pire, et puis la filmographie de Malick aussi, finalement, parce qu’en analysant bien la chose, le metteur en scène invisible et énigmatique a sans cesse distillé (à partir des Moissons du ciel), avec plus ou moins de bonheur (mais beaucoup de naïveté), ces messages pseudo-mystiques sur le monde, la nature et la vie à travers les temps. Que Malick soit devenu un réalisateur culte et d’une importance quasi essentielle à l’histoire du cinéma a toujours été (à mes yeux en tout cas) un mystère, et l’effet de rareté (5 films en 40 ans) a sans doute joué en sa faveur auprès des cinéphiles et autres théoriciens de la bobine. Certes, ses films sont des œuvres réussies et puissantes, mais pas de quoi les porter au pinacle du septième art, à niveau égal avec un Apocalypse now, un Sacrifice ou un Sátántangó, et ce Tree of life lénifiant devrait remettre les pendules à l’heure. Tant mieux.
À qui peut bien s’adresser ce truc, objectivement ? À de vieilles bigotes du 16e arrondissement ? À des gourous de secte au Texas, des curés aimant laper de l’eau bénite ? À des astrophysiciens et des paléontologues (découverte essentielle, et merci Terrence pour le scoop : les vélociraptors seraient capables de bonté et de clémence… Que de rires dans la salle à cet instant ! Même Spielberg n’avait osé une scène pareille…) ? Perdu, à l’image de Moïse dans le Sinaï, entre Sciences et avenir et Pélérin magazine, le film navigue dans les eaux troubles du prêche béatifiant. Et qu’on ne nous parle surtout pas d’audace, d’expression artistique entière, de vision au-delà du sacré, d’ampleur du sujet ou de message universel, beau et simple.
The tree of life est, concrètement, de la purée cosmogonique. Il faut parfois savoir appeler un chat un chat, quitte à passer pour un étroit d’esprit. Le film tend clairement le bâton pour se faire battre tant il s’enlise dans le bad trip contemplatif (Aronofsky s’y était également cassé les dents avec The fountain, de triste mémoire) et la bondieuserie la plus niaise qui soit, plus proche d’une pub assurance-vie ou prévoyance obsèques que d’une puissance expressive et poétique à la 2001, auquel le film cherche clairement à se confronter. Le message religieux (naturaliste ? Philosophique ?), à grands renforts de cantiques et de chants grégoriens, aurait presque autant de légitimité qu’un autre (ne soyons pas rigoristes), mais quand même, c’est asséné avec tellement de lourdeur, d’insistance et de prétention qu’il est impossible de le prendre au sérieux une seule seconde. De le ressentir pleinement, sereinement.
C’est bien gentil de vouloir convertir la masse ignorante et hérétique aux voix impénétrables, aux arcanes de la vie et de la Grâce, mais cette messe papale psalmodiée par un fou de Dieu au fin fond d’un planétarium donne plutôt des envies de profanations d’autels, de sabbats sataniques et d’orgies païennes tout recouvert de sang de bœuf ou de vierges immaculées. Il suffit de revoir ne serait-ce qu’une minute de n’importe quelle œuvre de Tarkovski, autre metteur en scène habité par la Foi, pour se rendre compte du fossé cinématographique dès qu’il s’agit, pour Malick, d’aborder l’expérience de l’Homme dans sa symbolique et sa spiritualité.
Avec The tree of life, Malick a manifestement atteint ses limites stylistiques et narratives. Malick se fourvoie, Malick se pastiche, Malick se ridiculise, recycle à la louche les attributs flagrants de son cinéma (rideaux dans le vent, soleil à travers les branches d’arbres, voix off incantatoire…) pour en arriver à un pensum au demeurant très joli (chaque plan recèle en lui une part de beauté évidente ; il y a toujours une lumière, un mouvement, un geste, un regard qui vient le magnifier), mais complètement sclérosé. Plutôt que d’ouvrir à d’infinis questionnements sur le rapport à notre nature profonde et notre place dans l’univers (hier et aujourd’hui), le film s’impose en une longue et désagréable prière extatique qui, au bout d’une demi-heure déjà, fait demander grâce (pas de bol, le film dure 2h20).
Fumeux et ennuyeux, chichiteux et laborieux, The tree of life échoue globalement dans son ambition de film-somme, de film-poème éclos à tous les sens. Cette histoire mastoc de Big Bang, de création et de fin d'un monde, de famille allégorique et d’un homme qui, par fugues spirituelles, se rappelle son enfance (quelle part d’autobiographie Malick y a-t-il mis ?), puis délire en s’imaginant atteindre une sorte de Paradis (retrouvant ses parents, ses anciens voisins, un frère disparu trop tôt), a vite fait de plomber nos espérances de transfiguration. Toute la partie centrale est inutilement longue, Malick étirant sur plus d’une heure ce qui a été compris en 5 minutes (suis-je bonté alors que je n’aime pas mon père qui m’élève à la dure ?), filmant sans plus d’invention ni d’originalité mais toujours avec ampleur (et soutenu par un montage fiévreux), croyant à la dévotion toute-puissante de son salmigondis avec la ferveur inquiétante d’un Torquemada, et perdant définitivement de sa superbe même en cherchant à aller au bout de son délire, envers et contre tous.