Ce qui me fascine toujours dans Titanic, au-delà de ses indéniables qualités cinématographiques, que d’autres avant moi se sont chargés d’énumérer, c’est le caractère obsessionnel infini que ce film exerce sur moi. Jamais de ma vie n’ai-je rencontré un film qui m’obsédât à ce point. Il est à la fois un drame, au sens premier du terme, au sein duquel la tension est palpable à chaque instant, relatant une tragédie humaine et historique d’une ampleur colossale. Dès les premières secondes, dès le titre s’inscrivant sur cet océan d’un bleu infini, les émotions reviennent en moi et ne me lâcheront plus, trois heures durant.


Pourtant, que le risque était grand : mêler Histoire et romance, dans un film de trois heures dont tout le monde connait la fin, réalisé avec des moyens colossaux (ce qui conduira James Cameron à abandonner son salaire pour en venir à bout), mais sans vedette majeure (Leonardo DiCaprio et Kate Winslet n’obtenant la consécration internationale qu’après la sortie du film), tenter de respecter l’Histoire (bien qu’entre 1997 et aujourd’hui, quelques points eussent changés dans la connaissance que nous en avons) sans pour autant réaliser un documentaire… Mais James Cameron n’a jamais perdu foi en son pari, et c’est en partie ce qui en a fait la réussite.


Le film, tout comme le paquebot, est un lieu de rencontre – malgré elles – des classes sociales, où la délicieuse arrogance de Jack (qui fait porter un toast à toute une tablée de riches) côtoie le maniérisme des plus fortunés. Ce qui nous permet de nous arrêter sur l’importance donnée par Cameron à la symétrie, dont le film use à bon escient : le dîner en première classe associé à la fête en troisième classe, la façon dont Caledon agit à table associée à l’aide qu’il accepte après le naufrage, etc.


Le film brille aussi par sa capacité à nous faire éprouver de l’empathie pour la totalité des personnages, aussi imparfaits soient-ils. Il arrive à Jack lui-même de tomber dans la condescendance, comme lors de la traversée de la salle des machines ; ça ne fait rien : il est humain. Caledon est quant à lui quelqu’un qui a été moulé dans les conventions sociales à un point tel qu’il ne sait pas comment réagir en dehors de celles-ci ; les sentiments qu’il s’aperçoit éprouver le détruisent, et sa personnalité devient encore plus exécrable alors qu’il tente de surmonter ces sentiments. Mais si la belle interprétation de Leonardo DiCaprio nous pousse à embrasser l’optimisme de Jack, si Billy Zane campe un méchant haïssable au possible, ce n’est, pour ma part, rien à côté de celle qui constitue le véritable personnage principal du film, le véritable cœur de l’océan. Kate Winslet est si parfaite dans son interprétation de Rose qu’elle sublime encore plus la prestation de ses partenaires à l’écran, et son personnage devient le pilier inamovible sur lequel le film repose entièrement : à chacune de ses actions, un nouveau caractère du film apparait.


La tragédie parfaite


Titanic, c’est finalement peut-être l’histoire d’amour parfaite, car unique et impossible, condamnée à demeurer en cette nuit du 14 au 15 avril 1912. La scène de la voiture illustre ainsi l’aspect tragique de l’histoire, sa dimension presque classique, au sens littéraire : une décision est prise entre deux solutions dont aucune n’est finalement bonne, la fatalité approchant avec l’iceberg. On note une fois encore la capacité de Cameron à jouer avec nous, qui connaissons le dénouement avant de voir le film : « Don’t worry, I’ll be allright. » déclare à ce moment Jack, alors que le spectateur connait la suite.


Cette notion de fatalité est présente durant tout le film et démontre le travail d’écriture de celui-ci. Ainsi, l’accent mis sur les mains est assez frappant, regardez bien, elles sont partout : dans la voiture bien sûr, mais aussi lors du départ du paquebot de Southampton ; lorsque Jack raconte son voyage à Paris ; les mains – de James Cameron, soit dit en passant – qu’on voit au moment où Jack dessine Rose, etc. Notons par ailleurs que la figure de Dieu reste assez présente durant tout le film : Cameron film une prière en première classe, et s’attarde longuement sur la figure du prêtre au moment du naufrage. Je n’associe pas par hasard ces deux notions (Dieu et les mains). Elles sont intimement liées, les mains représentant, plus que la figure divine, la fatalité qui entoure les protagonistes : nous assistons bien à une tragédie.


Que dire du pan technique du film, si ce n’est que lui aussi est parfait ? Près de vingt ans plus tard, rien n’a vieilli, mon cœur se met toujours à battre lorsque le Titanic se dresse à la verticale et lorsque les lumières clignotent une dernière fois avant de s’éteindre.


Alors que le film s’achève de nouveau, je ne m’en suis pas aperçu, mais les larmes me sont venues. Ce n’est pas tant la tragique histoire d’amour qui a provoqué cette effusion. C’est déjà plus la tragédie humaine qui vient d’être représentée sous mes yeux. Mais à ces larmes de tristesse viennent se mélanger d’autres larmes, des larmes de bonheur. Ce sont les larmes du cinéphile, stupéfait, subjugué, comme toujours, d’avoir vu se jouer devant lui l’œuvre cinématographique la plus parfaite qu’il eût pu concevoir.

Quentin_Boussar
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le 31 janv. 2016

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