Ma rencontre avec Weerasethakul aura eu le mérite de la surprise, de l’étonnement. Difficile de se forger une opinion solide sur cet étrange objet, tant il déroute, que ce soit dans son propos ou sa construction.
Clairement scindé en deux parties, Tropical Malady commence comme une romance dans une atmosphère que ne renieraient pas les auteurs de la nouvelle vague et les suiveurs asiatiques comme Hong Sang-Soo : presque documentaire, errant au fil d’échanges dénués de véritables climax, suivant un parcours banal, on cherche avant tout la vérité des êtres et de leur interaction. Ce n’est pas particulièrement passionnant, ni véritablement touchant, même si ça sonne assez juste. L’exotisme d’un karaoké à la thaïlandaise suffira peut-être à certains.
C’est sans compter sur la rupture totale avec la seconde moitié du film. Autre versant de la première, ou sa continuité, il met en image la citation en exergue du film : « Nous sommes tous par nature des bêtes sauvages ». Longue chasse silencieuse où fusionnent les êtres (les singes parlent, les hommes se transforment en bêtes), le parcours dans la jungle occasionne les séquences les plus fascinantes. Bruitages, épaisseur de l’introduction dans le végétal, l’image joue constamment sur les proportions au point de faire du personnage une infime silhouette à la fois perdue dans la nature et en osmose avec elle.
Si le message est loin d’être clair, l’intention esthétique peut donner des indices : à nous de lâcher prise pour ce parcours initiatique au cours duquel on laissera les synesthésies prendre le relai de la raison. C’est beau, c’est déroutant, les apparitions du tigre sont splendides. La maitrise est indéniable et le potentiel hypnotique réel. Reste à savoir qu’en faire et qu’en dire. Question inutile, diront certains. Peut-être. Mais le fait que je me la sois posée est en soi un indice sur mon adhésion à cet univers étrange, certes séduisant par son audace, mais qui reste bien aussi opaque et inextricable que la forêt vierge qu’il investit.

Créée

le 8 sept. 2015

Critique lue 1.6K fois

30 j'aime

8 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

30
8

D'autres avis sur Tropical Malady

Tropical Malady
Sergent_Pepper
6

Hell comes to the jungle.

Ma rencontre avec Weerasethakul aura eu le mérite de la surprise, de l’étonnement. Difficile de se forger une opinion solide sur cet étrange objet, tant il déroute, que ce soit dans son propos ou sa...

le 8 sept. 2015

30 j'aime

8

Tropical Malady
Vivienn
9

The Jungle Book

Il est difficile de décrire le cinéma de Apichatpong Weerasethakul puisque le thaïlandais, au lieu d’exciter l’esprit de son spectateur, préfère stimuler ses sens. Blissfully Yours explorait déjà le...

le 8 sept. 2015

17 j'aime

Tropical Malady
Velvetman
7

Un amour sans frontière

C’est fascinant de voir cette matière qu’est l’image, se concentrer autant sur son impact hypnotique. Là où Tropical Malady arrive à ses fins, c’est dans cette manière qu’il a de faire basculer son...

le 1 juin 2020

14 j'aime

1

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53