Ma rencontre avec Weerasethakul aura eu le mérite de la surprise, de l’étonnement. Difficile de se forger une opinion solide sur cet étrange objet, tant il déroute, que ce soit dans son propos ou sa construction.
Clairement scindé en deux parties, Tropical Malady commence comme une romance dans une atmosphère que ne renieraient pas les auteurs de la nouvelle vague et les suiveurs asiatiques comme Hong Sang-Soo : presque documentaire, errant au fil d’échanges dénués de véritables climax, suivant un parcours banal, on cherche avant tout la vérité des êtres et de leur interaction. Ce n’est pas particulièrement passionnant, ni véritablement touchant, même si ça sonne assez juste. L’exotisme d’un karaoké à la thaïlandaise suffira peut-être à certains.
C’est sans compter sur la rupture totale avec la seconde moitié du film. Autre versant de la première, ou sa continuité, il met en image la citation en exergue du film : « Nous sommes tous par nature des bêtes sauvages ». Longue chasse silencieuse où fusionnent les êtres (les singes parlent, les hommes se transforment en bêtes), le parcours dans la jungle occasionne les séquences les plus fascinantes. Bruitages, épaisseur de l’introduction dans le végétal, l’image joue constamment sur les proportions au point de faire du personnage une infime silhouette à la fois perdue dans la nature et en osmose avec elle.
Si le message est loin d’être clair, l’intention esthétique peut donner des indices : à nous de lâcher prise pour ce parcours initiatique au cours duquel on laissera les synesthésies prendre le relai de la raison. C’est beau, c’est déroutant, les apparitions du tigre sont splendides. La maitrise est indéniable et le potentiel hypnotique réel. Reste à savoir qu’en faire et qu’en dire. Question inutile, diront certains. Peut-être. Mais le fait que je me la sois posée est en soi un indice sur mon adhésion à cet univers étrange, certes séduisant par son audace, mais qui reste bien aussi opaque et inextricable que la forêt vierge qu’il investit.