Rarement sur SC, j’ai eu autant de mal à choisir une note pour un film. Selon le critère que je choisis, j’obtiens un ressenti complètement différent.
- Un film ?
Tout au long de Fire Walk with Me, je me suis demandé : est-ce un film ?
Il est difficile, voir impossible, de donner une définition du film de cinéma. Toutefois, parmi mes critères, je considère qu’un film doit se suffire à lui-même. Même s’il s’inscrit dans une suite, un film doit pouvoir se comprendre et se vivre seul.
Or, Fire Walk with Me me ne se suffit pas à lui-même. Il est surtout une extension, une émanation de la série Twin Peaks. Le long-métrage se réfère continuellement à la série et ne se comprend qu’à l’aune des deux saisons. Toute l’œuvre ne s’épanouit pleinement qu’avec la connaissance (je n’irai pas jusqu’à parler de compréhension) de la série. Sans ces clés, le film n’est qu’une succession de scènes et de personnages anecdotiques.
Sur ce critère, j’étais prêt à mettre un 3/10 au film.
Mais entre-temps, j’en ai discuté avec une amie cinéphile, qui a vu le film et pas la série. S’il m’apparaît très vite qu’elle n’a pas réellement compris l’histoire et ses aboutissements, elle reste très marquée par son expérience de visionnage. Son ressenti est sensitif et organique, comme souvent avec des films de David Lynch.
Avec un regard vierge, Fire Walk with Me peut finalement se suffire à lui-même. Dans ce cas, je suis incapable de le noter.
- Indispensable à la série…
Après avoir terminé la série, regarder ce film était vital. D’autant plus que Lynch a annoncé que la saison 3 était liée au long-métrage.
Fire Walk with Me apporte un véritable éclairage sur le cœur de l’intrigue de la première saison et de la moitié de la deuxième : le meurtre de Laura Palmer. Plusieurs relations et intrigues trouvent leur explication.
Pour la première fois aussi, Laura prend véritablement vie. Peu enclins au flashback, Lynch et Frost n’ont pas donné corps à l’adolescente, si ce n’est un cadavre et un mystère. Cet éclairage est d’ailleurs troublant. Il donne chair aux fantasmes liés à la personne de Laura et l’incarnation peut décevoir parfois. Cruel passage du rêve à la réalité. L’une des forces de la série était justement cette aura (cette (L)aura serais-je tenter d’écrire) qui émane de l’adolescente, forme fantasmatique dont le double Maddy Ferguson troublait encore plus les frontières.
Le film apporte aussi quelques éléments complémentaires à la série, même s’ils constituent surtout des clés vers d’autres mystères : les habitants de la loge noir (particulièrement la vieille dame et l’enfant), les bureaux du FBI, le lien entre Cooper et Laura… Sans compter les nombreuses apparitions des membres de la communauté de Twin Peaks.
Le néo-fan de la série mettrait un 8, voire, un 9/10.
- Mais frustrant
Toutefois, la découverte encore fraîche de la série a rendu certains « détails » très troublants. Le principal a été le remplacement de Lara Flynn Boyle par Moira Kelly pour le rôle de Donna Hayward. Si Lara Flynn Boyle et son personnage m’ont souvent agacé durant la série, son remplacement a été très difficile pour moi et m’a sérieusement gâché l’immersion.
Ce remplacement et plusieurs absences sont à noter : Lara Flynn Boyle (Donna Hayward), Sherilyn Fenn (Audrey Horne) et Richard Beymer (Benjamin Horne). Officiellement, il s’agit d’une incompatibilité d’emplois du temps. En réalité, il s’agit d’un désaccord. Sherilyn Fenn déclarera plus tard que « la deuxième saison s'était égarée » et que cela « l'avait déçue ». Elle ne participera donc pas au tournage.
Même combat pour le véritable héros de la série (après la ville de Twin Peaks), Kyle « Dale Cooper » MacLachlan. Son absence était justifiable si tout le film s’était centré sur Laura Palmer. Sauf que le début entend faire le lien avec le meurtre de Teresa Banks. Et la faible présence de MacLachlan à l’écran est troublante. Selon la fiche Wikipédia du film : « Alors que le financement du film est prévu, les productions Lynch/Frost annoncent le 11 juillet 1991 que le film ne se fera pas, car l'acteur refuse de reprendre son rôle. Un mois plus tard, Kyle MacLachlan accepte finalement de tourner à condition que ses interventions soient réduites. »
« David [Lynch] et Mark [Frost] n'étaient là que pour la première saison, et je me suis battu et battu pour essayer de les faire revenir — mais… Je pense qu'on s'est tous senti un peu abandonnés. J'avais donc du ressentiment, au moment de faire le film Fire Walk with Me» Kyle MacLachlan
Résultat, Kyle MacLachlan ne fera que cinq jours de tournage.
Cette situation a fait que David Lynch et Robert Engels ont réécrit leur scénario. L'enquête sur le meurtre de Teresa Banks, initialement prévue pour l'agent Dale Cooper, se voit attribuée à un autre agent du FBI. De la même manière, les scènes impliquant Audrey Horne sont supprimées du script, et celles impliquant Benjamin Horne ne sont pas tournées. Ces changements peuvent expliquer le sentiment de flottement que j’ai pu ressentir face à l’histoire, notamment lors de la première partie avec le personnage de l’agent Chester Desmond.
Alors que Lynch sait distiller des ambiances déstabilisantes, ces atermoiements n’ont fait que causer des troubles inutiles et désagréables. Sur ces critères là, je redescendrais ma note à un 6/10, si c’était possible.
Mais au final, j’ai opté pour un 7/10, car le fan n’écoute pas son sens critique.