Les multiples dimensions d'un martyre.
Quoi? Ils ont zappé le film à Cannes? Lynch aurait perdu des fans (de Twin Peaks) en route? Déroutant? fou? Bizarre? Là, il et temps d'ouvrir les yeux et réaliser que le maître nous fait au contraire un immense cadeau avec ce qui est peut être même son plus beau film.
Il faut le regarder après le dernier épisode (somptueux) de la série, sinon tout le mystère entourant la mort de Laura Palmer est vain.
Fire walk with me (feu marche avec moi) nous présente l'héroîne ultime de Lynch, celle qu'il ressucite dans un film aux multiples dimensions de lectures et d'interprétations, dans un film d'un romantisme absolu (au sens littéraire et pictural du terme) ,dans cette oeuvre totale qui reprend une structure de tragédie antique.
Douleur et passion au coeur du récit, c'est un feu qui dévore l'âme de Laura; voici ce que lui dit la femme à la bûche au détour d'une rue:
"Ce genre de feu, il est très difficile de l'éteindre.Les tendres rameaux de l'innocence brûlent les premiers.Puis le vent se lève et toute bonté est alors en péril."
Ensuite c'est une lente et douceureuse gradation vers l'horreur qui arrive, plus les minutes passent plus une violence archaïque et animale s'installe pour conduire Laura vers sa mort ritualisée à la perfection, entre soumission, choix et abandon libérateur.Son corps dérivant sur les eaux du lac telle une Ophélie moderne.Pour finir dans la plus belle des tranfigurations.Beaucoup d'esthétique néo Rennaissance (ou pré raphaélite si vous préférez), tout comme le représentait Annie dans le dernier épisode de Twin Peaks, digne d'un tableau de Rossetti.
Beauté esthétique mais ausi maîtrise des genres, Lynch jongle avec des moments hilarants, des scènes d'horreur sans concession, on rit , on pleure avec l'héroïne, on tremble pour elle.
Là où l'on pouvait accepter l'élément du surnaturel dans Twin Peaks pour ce qui est de BoB , le partit pris devient psychologique dans le film; seul petit regret, ce chèr Dale Cooper, moitié lumineuse de Laura, apparaît peu.Mais quelle apparition émouvante sur la fin, lui conférant le rôle mystique d'un passeur d'âme et réconciliant ce qui a pu être très ambigu dans la dernière scène de Twin Peaks.
La musique d'Angelo Badalamenti est juste transcendante, meilleure que dans la série, plus baroque , plus sombre, très sexy lors des virées orgiaques nocturnes.
Twin Peaks c'est ausi l'art de la performance, dans la "red room "énigmatique qui mêle la représentation contemporaine guidée par la sentation avec une philosophie plus ancienne,métaphysique.
Un moment inoubliable du cinéma dont on ne peut se lasser.