Une histoire simple se focalisait sur une femme et ses désirs individuels dans une société en mutation : Un mauvais fils fait presque de même en choisissant un nouveau sujet, et un milieu auquel Sautet ne s’était pas encore frotté, la classe populaire. Les mêmes obsessions sont à l’œuvre, celle de la définition d’une place au sein d’une structure qui ne trouve pas son équilibre. De retour de prison à l’étranger, Bruno tente l’expérience de la réinsertion : dans la vie professionnelle, par rapport à son père qui lui reproche d’être responsable de la mort de sa mère, et enfin dans la vie amoureuse.
Sautet l’a toujours affirmé : la vie vaut d’être vécue, en dépit de ses difficultés. Si le couple est sans cesse mis à l’épreuve du désamour et des raisons que la raison ignore, l’amitié est une valeur plus sûre. Ici, point de grande communauté collective comme dans les grandes heures de César et Rosalie ou Vincent, François, Paul et les autres, mais un cercle restreint, composé d’un vieil homo précieux, son amant et une femme complice de brisure, toujours aussi juste dans une sublime séquence d’initiation à l’opéra, durant la pause déjeuner d’une journée de travail en librairie. La musique s’épanche et l’essentiel se distille, soudant profondément les individus. Cette approche de la musique et du travail manuel d’ébéniste dans lequel Bruno manifeste un talent certain, annoncent clairement l’apogée que sera Un cœur en hiver : les circonvolutions délicates autour d’un être abimé qui tente, modestement, de faire avec la vie.


On sait à quel point Sautet se distingue par sa direction d’acteurs. Le voir traiter du cas Dewaere est en tout point fascinant. Ici, point de forfanterie rebelle comme chez Blier, ou de folie explicite à la manière du Série Noire de Corneau : Sautet dompte la bête qui livre ici une performance d’autant plus bouleversante qu’elle gomme toute ses coutures : gueule d’ange, yeux écarquillés sur le mystère indicible des rapports humains, le personnage de Bruno est sublime de fragilité, réel alter ego aux compositions nombreuses de Romy Schneider sous la houlette du réalisateur.


Dans cet univers sans événements majeurs, tout le monde se débat pour tenter de cohabiter : avec les morts, avec les vivants, en fuyant par la drogue ou le silence à l’issue de dispute a priori insolubles. Père et fils se déchirent, les amants s’unissent dans une échappée malsaine. Comme le disait Romy dans Une histoire simple, on se cogne, on est maladroits, et ce qu’on partage avant tout, ce sont les torts.


Le final suspendu, écriture récurrente chez Sautet, et qui ressemble diablement à celui du Quelques jours avec moi à venir, laisse autant d’espoir qu’il affirme la pérennité des épreuves : la vie continuera, avec la même complexité que ce fragment dont le cinéaste a su, une fois encore, restituer avec un tact infini toute l’intensité.


(8.5/10)


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Sergent_Pepper
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le 10 déc. 2015

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