Une fois le souffle repris et la tension retombée il semble déjà plus modéré de pouvoir juger ce film, car il nous laisse tellement sur notre cul qu'il est facile de s'enflammer, "Whiplash" reste forcément une bonne grosse claque cinématographique, qui joue admirablement bien de son rythme, gardant un tempo constant pour partir dans des envolées puissantes et frénétiques, un résultat sans fausses notes, ou presque.
Damien Chazelle signe à 29 ans son deuxième long métrage en s'engageant par la même d'en écrire le scénario, l'histoire de Andrew Neyman, un jeune batteur de jazz de 19 ans intégrant un conservatoire prestigieux tenu d'une poigne de fer par un enseignant impulsif et tyrannique, ce dernier va tester ces limites par les moyens les plus sadiques pour le pousser à devenir le plus grand musicien de l'histoire.
Ce duel est évidemment la pièce maîtresse du film et prends le soin d'établir ses enjeux et d'évoluer d'une manière purement sensitive et intense, on passe par bien des impressions, entre le sentiment d'austérité que provoque ce sergent instructeur orchestral à l'angoisse et la révolte de l'apprenti surdoué, c'est en plus diablement bien mis en scène. J.K. Simmons brille de sa présence terrifiante, il retrouve un peu ce rôle de salopard de Schillinger, crâne rasé au t-shirt manches courtes doué d'une malice cruelle et vociférant les pires insanités, on ne sait pas vraiment comment prendre au premier abord ce personnage, il est exigeant mais prévoyant pour ensuite se muer en véritable pourriture, à travers les yeux de Andrew il nous fait vivre un enfer. La tension est débordante, et c'est ce facteur qui fait que "Whiplash" est tout à fait réussi, je pense par exemple à cette scène où Fletcher fait répéter le tempo à Andrew plusieurs fois pour finalement lui envoyer un classeur à la figure, elle dure, dure ... l'acharnement est crispant et le film nous prends par surprise, on ressent vraiment des choses et ça j'ai tout simplement adoré.
Ce thème de l'élévation est rendu puissamment, par les gammes hésitantes de Andrew aux entraînements intensifs où se mêlent sang et sueur jusqu'au live final avec ce solo ahurissant, le jeune homme donne corps et âme à son instrument, perdant au passage la raison, cette déstructuration sentimentale est intéressante et Miles Teller se révèle avec brio et panache nous offrant une prestation très convaincante, on est tout de même loin de "Divergente", comme quoi rien n'est perdu lorsqu'on est pris en main par un metteur en scène talentueux.
Ce que j'ai constaté après coup c'est que le film est limite construit comme un concert, une première partie entraînante qui dépose tranquillement son assise pour la propulser et faire des éclats, puis une coupure nette du rythme et du duel en son coeur en guise d'entracte pour le reprendre dans une seconde à l'intensité crescendo qui se conclue avec cette apothéose génialissime, le réalisateur cherche l'adhésion de par la simplicité scénaristique en gardant cette puissance introspective, et ça marche complètement, personnellement je n’ai pas lâché l’écran des yeux une seule seconde.
Il faut aussi souligner la qualité du montage visuel et sonore qui est réglé au millimètre, notamment lors des partitions musicales donnant ainsi le "la" au rythme désiré, c'est tout à fait cohérent, niveau réalisation c'est donc très positif, peut être même trop ... car bizarrement j'ai trouvé par exemple que le cadre était trop esthétisé, d'accord c'est beau mais par rapport au thème ça aurait sans doute eu plus de mérite à proposer quelque chose de plus brut voir crade, sauf pour la dernière séquence qui pour le coup reflète bien sa magie. Le personnage féminin ne trouve pas une réelle importance, juste un pion pour expliciter son détachement social, même la relation paternelle n'est pas forcément bien exploitée, ces deux rôles sont un peu trop étouffés par le duo Andrew-Fletcher.
Pour ce qui est de la bande son, que l'on soit je pense adepte de jazz ou non (perso j'adore), on prend un pied phénoménal, sans doute d'ailleurs un des meilleurs films sur la musique que j'ai vu, on a vraiment plaisir à se concentrer sur les bases et la profondeur de ce style tellement riche, et Chazelle le filme avec passion et finesse pour nous le fait partager de manière brillante et intense.
"Whiplash" est donc un excellent film qui restera à mon humble avis dans les mémoires car redynamisant d'un sens le rôle de la musique au cinéma, qui ne doit pas juste rester qu'un élément de fond mais bien une matière primordiale et sujette aux sens, et lorsque le tout est servi par le talent d'un metteur en scène orchestrant deux acteurs en grande forme le résultat est forcément réussi. Bravo !