Pour la forme, l'ambiance et pour Kate Winslet

Pour son dernier opus avant d'être largué par le tout-Hollywood (donc le dernier tout court en déduisent les fins observateurs), Woody Allen tient ses promesses. Sa 47e livraison n'est pas originale (ni subtile) mais ne se contente pas de réflexes ni d'un scénario retors, comme c'est le cas dans plusieurs productions dites 'mineures' (mais la plupart des Allen sont mineurs depuis vingt ans, car ils sont légers et n'ont rien à démontrer ou réformer).


Wonder Wheel est fluide, joyeux, fataliste, entraînant avec son univers et les compulsions de sa famille élargie. Il se distingue grâce à trois arguments : son apparence, son charme, Kate Winslet et son personnage. Ce dernier rappelle Blanche dans Un tramway nommé désir. Il est moins profond évidemment, mais plus aimable, plus 'charnu' à tous points de vue, réel dans ses excès, trop vivant pour être bien établi dans sa sophistication et ses calculs.


La recette Allen fonctionne toujours et notamment quand elle se fixe sur un tel caractère, tragique et pathétique (atteint de médiocrité[s] ou rattrapé par la démence). Sur la forme elle prend des couleurs. Wonder Wheel témoigne d'une attention inhabituelle à la photo, signée Vittorio Storaro, dont Allen vient de s'enticher pour Café Society et qui officiait déjà chez Bertulocci. Le style est explicite et facétieux, le climat distant et nostalgique – la nostalgie est globale, implique des effets antérieurs chez Woody et des sentiments universels, le chagrin de sentir l'étau se resserrer, perdre des opportunités (plutôt qu'un objet précis auquel on se serait attaché).


Wonder Wheel est ouvertement artificiel (avec ses gadgets comme Timberlake simultanément et en direct acteur et narrateur) mais le théâtre c'est bien son cadre, les personnages eux sont absorbés. Quand ils se veulent en représentation, les coutures se voient et c'est d'une cruelle ironie à leur égard. Pour le spectateur, c'est une évasion rétro, amère et sucrée ; pour ces gens-là et notamment pour Ginny, c'est la tentative de s'échapper de la salle de maintenance d'un pseudo-paradis criard qui profite aux autres. Il y a deux façons de plonger dans le sinistre : on y sombre pour s'y désintégrer et sortir de scène, ou bien on y patauge, jamais au point de mourir ou de savoir rebondir, juste assez pour constater son impuissance. Ce qui rend Ginny touchante, c'est qu'elle fait tout pour échapper au véritable dilemme qui pèse sur elle, mais elle y est ramenée. Elle devra choisir entre pourrir avec ses rêves ou s'oublier et couler avec son sort, minable mais pas totalement ingrat.


https://zogarok.wordpress.com/2018/04/11/wonder-wheel/

Créée

le 11 avr. 2018

Critique lue 334 fois

3 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 334 fois

3

D'autres avis sur Wonder Wheel

Wonder Wheel
pphf
7

Clap (clap,clap) de fin (?)

ALLEN, Woody (1935 – 2017) Cette critique, très postérieure au visionnement et au re-visionnement (très appréciés) du film est une réponse personnelle au massacre en règle auquel Wonder wheel a été...

Par

le 14 sept. 2018

29 j'aime

23

Wonder Wheel
Seemleo
4

Woody en roue libre

Wonder Wheel me fait penser à la salade verte que j'ai mangée cet après-midi : magnifique assiette à la présentation impeccable, mais goût insipide. Sans assaisonnement ni vinaigre. Woody Allen est...

le 4 févr. 2018

19 j'aime

5

Wonder Wheel
Fritz_Langueur
8

La roue de l'infortune

2017 nous avait privé de notre Woody Allen annuel ce qui est rare, 2018 aurait du nous en livrer deux, mais, compte-tenu d'un contexte sur lequel je ne veux pas m'épancher pour le moment,...

le 22 févr. 2018

19 j'aime

24

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2