2017 nous avait privé de notre Woody Allen annuel ce qui est rare, 2018 aurait du nous en livrer deux, mais, compte-tenu d'un contexte sur lequel je ne veux pas m'épancher pour le moment, contentons-nous de "Wonder wheel". Le "contenter" introduisant un opus moins fort que les derniers ("Café Society", "L'homme irrationnel" et "Blue jasmine"). Il n'est pour autant pas aussi mauvais qu'une horde très subjectivement remontée semble le laisser penser.
Le réalisateur est conscient que son scénario est des plus superficiels. Dans ce cas de figure, deux solutions s'imposent. La première est de faire une impasse, la seconde est de s'appuyer sur les acteurs et d'user d'artifices pour le transcender. Ce second choix privilégié par l'auteur, n'est pas sans rappeler les contraintes de l'opéra (légèreté du livret, trame simpliste) auxquelles il faut donner un souffle esthétique et une organisation où l'unitaire se retrouve dans un ensemble.
Le décor principal se trouve être Coney Island, où comme pour tout lieu de fête, chacun semble être heureux. Il cerne trois plateaux : le restaurant, la maison du couple, les sous ponton. L'articulation générale du film allant, au gré du récit, de l'un à l'autre. La destination de ces lieux étant tantôt cocasse, affectueux ou dramatique et vice versa. Et Woody Allen d'en jouer habilement entre lieux de liberté (plage, fête foraine) et ceux contraints (maison, restaurant) sa caméra est perspicace et ses plans parfois audacieux. Ce même effet changeant se retrouve dans les personnages, leur sentiments évoluent en montagne russe au même rythme que leur apparence physique.
Je l'évoquais plus haut, le choix des acteurs était déterminant. Kate Winslet débarrassée de toutes ses scories de "sur jeu" suscite une énorme émotion. En abordant ce rôle, elle affiche une franche sincérité dans la manière d'être Ginny, mais aussi en tant que femme et cela lui va formidablement. James Belushi au physique très fifties est tout en nuances en homme enfant. Le couple est sidérant à l'écran. Dans les rôles secondaires, Justin Timberlake en séducteur prédateur et Juno Temple en bimbo simplette sont tous deux crédibles.
Il est un personnage à part, celui de Richie. Fils d'un premier mariage de Ginny, il semble totalement étranger à ce qui se passe et l'entoure et n'a de cesse de provoquer des départs de feu. Passionné de cinéma, il est le petit garçon à part qui souffre en silence voulant faire table rase de cet environnement pesant qui l'exaspère. Il est roux comme Woody Allen enfant...
Interprétation de haut niveau, scénographie bien en lien avec l'époque, il ne manquait que l'habillage filmique. C'est sans doute l'élément le plus perturbant pour le public. A commencer par les prises de vues et ce manque de naturel avec ses couleurs parfois trop saturées. Ce travail d'exception (j'y reviendrais) est signé Vittorio Storaro, le chef opérateur par excellence que l'on appelle pour des films aux ambiances très spécifiques ("Apocalypse now", "Coup de coeur", "1900" ou encore "Dick Tracy"...). Il fallait bien rendre à l'écran cette ambiance chatoyante des années 50 où les esprits à peine remis de la guerre étaient euphoriques. Et cela se voyait de manière clinquante : la mode, les devantures et enseignes des magasins, les voitures, les objets... Et c'est justement ce côté clinquant que le tandem Allen/Storaro voulaient voir à l'écran. Là où chez Ginny et Humpty tout est terne et triste, la vie tout autour bouillonne et rejaillit de manière bigarrée. On s'y croirait, où du moins ce que l'imaginaire en a conservé... Avec "Wonder wheel", par sa lumière, ses costumes, ses décors... c'est tout l'univers du photographe Max Feinstein qui reprend vie en technicolor !
Pour toutes ces raisons, le film mérite d'être vu et apprécié à sa juste valeur. A ses dire, Woody Allen n'est "ni comique ni dramatique, juste réaliste". Il serait plutôt ici nostalgique. A l'image de son héroïne, après de nombreuses tentatives pour lui le constat est clair, il ne sera jamais Welles ou Kubrick ("ses" héros de cinéma), il a tourné, beaucoup mais à la vue de sa filmographie, il lui semble n'avoir tourné que le même genre de film... En place pour la Grand Roue si éphémère qu'en soit le plaisir !