Il y a d’abord eu Non-film en 2001, moyen-métrage où Dupieux annonçait ses intentions. Puis surtout Steak, avec le tandem Eric & Ramzy, comédie novatrice très mal accueillie mais continuant d’être discutée. Ensuite avec Rubber, Dupieux a voulu faire une espèce de méta-film : ça n’a pas marché. Il a beaucoup fait parler en raison de son incongruité déclarée et du pari fou promis par le pitsch, mais depuis un fossé s’est creusé. À tous points de vue : ses deux films suivants, Wrong et Wrong Cops, attirent un public plus étroit tout en arrivant comme des consécrations.
Maintenant Dupieux fait rimer ses univers absurdes avec un talent sidérant, quelque soit la « paresse » dont il se targue. Il ne cherche plus à les justifier par des mises en abyme ou des analyses ironiques comme dans Rubber, tout en ayant passé le cap du brouillon, certes avec sa part de génie, propre à Steak. Maintenant, l’auteur opère un contrôle serré sur son système, tout en validant son irréalité, sans la souligner, ce qui est du plus bel effet : comme ses personnages il évolue dans un monde tout à fait naturel. Nous sommes plongés dans une aberrante normalité, sans fausse distance faisant guise de commentaire.
En 2012 Wrong est une réussite mais incomplète, encore un peu otage de la torpeur de son univers insolite. La même année, Dupieux présente un nouveau court, Wrong Cops, chapter 1 : Monday. Au lieu de réaliser les six opus manquants d’une hypothétique collection, il opte pour le long-métrage ; cela donne Wrong Cops en 2014, intégrant le court avec ses seize premières minutes. Le résultat est déconcertant et hilarant. On se balade dans une réalité parallèle a-priori aux portes de l’enfer, caractérisée par une absence d’illusions totale.
Le monde des Wrong Cops est un territoire où le nihilisme a gagné depuis longtemps : il est tellement installé qu’il n’y a plus ni rêves ni cauchemars. Par conséquent, il n’y a de déraillements : ce monde est déraillé. Alors Dupieux le filme avec le sérieux absolu qui lui convient, dépassant la prise de conscience de la farce pour l’accepter comme un illuminé stoïque et décontracté. Il n’y a pas de sincérité, il s’agit de vérité totale : tout est normal et limpide, un ‘premier degré’ sans contenu a été intronisé par la Nature et il a tout enveloppé.
Lorsque l’officier Rough présente son morceau à son producteur, celui-ci croit faire face à une espèce de troll tout à fait lucide, ce qui serait dans un monde si absurde la seule possibilité façon d’exister avec distance. Mais ces gens sont WTF et grotesques par nature : il n’y a aucune sophistication, pas de déguisement de leur part, que ce soit physiquement ou dans l’esprit. Pour autant il n’y a pas d’ennemi manifeste, c’est la réalité qui est dingue : alors on suit le flux de la normalité, éventuellement comme un cinglé individualiste, ou bien on est morose et perplexe comme Judor ou Manson.
Il y a des manques tout de même, une gaucherie que n’avait pas Wrong : ainsi, cette intervention impromptue d’une tétraplégique dont le seul intérêt sera de lâcher une vanne sur l’infirmité. Cependant le film ne s’enlise jamais et regorge de moments très drôles : à l’hôtel avec Michael, le partage du morceau de Judor, l’enterrement où Sam Neill fait son apparition. Les personnages frôlent tous la perfection, les gimmicks sont excellentes, y compris cette musique « de porcs ». Wrong Cops laisse une abondance de ces petits éléments et ces punchline donnant envie d’y revenir, ce qui manquait justement à Wrong.
Enfin Dupieux réunit un casting brillant, avec à nouveau son ami Eric Judor, mais aussi Marilyn Manson en espèce d’ado dépressif et plusieurs comédiens humoristes américains aux registres relativement insolites. Ce Wrong Cops inspire de grands espoirs pour la suite, même si le casting du projet sur lequel Dupieux enchaîne directement (Reality pour 2015) semble inadéquat.
https://zogarok.wordpress.com/2015/01/03/wrong-cops/
https://zogarok.wordpress.com/2015/01/01/bilan-annee-2014-cinema/