Dans une période phare de nouveaux mouvements sociaux naît ce documentaire d'un type nouveau en France.
Dans une société qui monnaie les bases les plus essentielles à la survie, Chris Marker interroge la conscience ouvrière, autrement dit l'identité socioculturelle, forgée par la nature sociale et la fonction d'un individu lesquelles aboutissent, par nécessité et par coercition, à la convergence des intérêts d'autres individus dans une société organique. Et ce n'est pas n'importe quelle fonction... C'est celle qui est à l'origine de la richesse des populations !
Pour promouvoir cette conscience, des liens sont tissés entre des portraits de travailleurs et leur travail. On les voit parler de l'emploi, de leur ressenti, sur la perspective d'une grève, sur l'aliénation au travail.
Marker multiplie les parcours et les expériences personnelles pour les faire se rejoindre. D'un autre côté, on interroge ce mouvement organisé qui a le désir de voir la classe ouvrière prendre conscience de ses intérêts pour les fédérer.
"A bientôt, j'espère" est l'image d'un cinéma qui délaisse le cirque pour le propos et l'engagement.
Et même bien avant de parler d'engagement... A combien de personnes me suis-je heurté en étant qualifié de charlatan (potentiel) et de pourri, moi qui n'ai jamais eu de mandat, qui n'en aurait jamais et qui n'en veut pas ? Ce n'est pas gagné de penser que la première des politiques, elle se fait dans l'immédiat, dès que tu vis en société - et encore dans les zones où il n'y a personne, il y a encore des lois parce que le territoire et le sous-sol sont là. La politique, c'est quoi ? C'est l'Etat ou plutôt c'est l'ordre des choses en société. Pour moi, la politique, c'est donc la rue - le niveau de l'échelle le plus bas de la résultante politique - et je voudrai que le citoyen se possède de sa voix au lieu qu'elle soit déléguée à des charlatans et des pourris, au lieu de l'exprimer une fois tous les cinq ans si jamais le citoyen a le coeur de voter pour qui le foulera encore au pied pendant les cinq prochaines années.
On a rien inventé de mieux (après celui qu'on appelle dieu) que la politique mais généralement le citoyen n'a ni conscience de la multitude de lois qui l'entoure - il en fait abstraction - ni conscience des intérêts de l'existence de ces lois ni leur direction. Et ça, ça demande initiation. Les affaires humaines demandent initiation. Je ne parle même pas de la conviction ni de la conception dans la croyance d'une idée.
C'est pourquoi j'ai beaucoup de peine à trouver un film qui soit fidèle à cette vision. Et cela n'aurait rien de parcellaire à mes yeux.
Bien avant la manifestation, l'organisation et la revendication d'un quelconque droit, bien avant la grève, je pense à "A bientôt j'espère". Il me semble être un appel à la conscience des intérêts, des enjeux, du pragmatisme politique, un appel à la possession de sa voix sans délégation.
Plus que l'engagement, c'est un film témoin qui a le souhait de passer le relais pour qui ces mots prennent sens.
C'est l'histoire d'un cinéma qui s'interroge sur sa propre fonction sociale en même temps qu'il questionne l'engagement des "autres". La jaquette du dvd affiche une pancarte comme une évidence et une révélation : "le film est une arme". La voix de Chris Marker, cachée et furtive, paraît être le symptôme de cette métaphysique ouvrière du témoignage et de la stratégie dans l'Histoire. Ces autres qui se cherchent une voie, une issue politique, c'est l'histoire de la création d'une conscience, de la création des groupes Medvedkine qui, malgré leurs défauts, demeurent encore aujourd'hui une étincelle salutaire pour toutes celles et ceux qui ont le souci de relever la tête après l'alarme, le souci de se voir un jour debout, de voir un jour cette société basée sur les besoins humains plutôt que sur les profits.
"A bientôt, j'espère" devient alors plus qu'un titre, c'est un rendez-vous permanent.
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