L'art de vivre.

C'est beaucoup plus qu'un film militant, même s'il parvient à l'être, simplement, de la plus belle manière qui soit. C'est un document qui témoigne de l'humanité, de la vie en générale. Marker nous dit : la vie est un combat, qui avance, étape par étape. Ce n'est pas juste les salaires qui sont discutés ici, c'est le droit à la culture, et donc à la vie, le droit à la dignité. Tous les ouvriers qui sont filmés ici le sont avec une dignité irréprochable. Marker est toujours à la bonne distance. Il les écoute, il les filme. Il leur rend la culture, il leur rend le cinéma : instrument détenu par la bourgeoisie, et pour lequel Marker se fait passeur, se fait passerelle, rappelant que le cinéma, c'est la parole rare de ceux qui devraient se taire.
Et cette parole, elle a un sens, elle a une fin qui se fait possible. Au bout du film, il y a ce "A bientôt j'espère" qui sonne comme un coup de tonnerre. Il y a l'échec, mais il y a cette conscience qui se dessine, "l'identité de la lutte" comme le dit Marker, qui est apparue soudain, comme une surprise. Marker a accompagné ce mouvement, faisant palpiter quelque chose de plus grand encore que ces visages seuls : ces visages ensemble, que l'expérience de la grève a rapproché, et qui permettra à la vie de s’acquérir enfin. Pour cela, Marker donne la parole, filme, juxtapose les voix et les témoignages. C'est bien du cinéma : avec ses armes, Marker donne corps à une identité commune qui est celle de la solidarité, qui est celle de la vie, de "l'art de vivre" pour paraphraser Godard. Aux patrons, on entend : "On vous aura, parce qu'il y a cette solidarité et eux ne savent pas ce que c'est. On vous aura, c'est la force des choses, c'est la nature, et à bientôt j'espère".