Dans bon nombre de films de Wes Anderson, un rôle de dernier plan est occupé par un vieil indien : Kumar dans Bottle Rocket, Pagoda dans les Tenenbaum, LittleJeans dans Ruhsmore, toujours joué par le même Kumar Pallana. Il semblait donc tout indiqué qu’Anderson finisse un jour par aller directement en Inde.
Sur des principes désormais éprouvés de son cinéma, à savoir la famille déstructurée et les personnages névropathes, Anderson imagine ici une virée en train qui devrait, à en croire l’un des trois frères organisateur (Owen Wilson), se révéler une quête spirituelle de premier plan. Comme toujours, le programme est écrit (même plastifié en l’occurrence) et les déclarations d’intention permanentes, une constante affirmée dès Bottle Rocket, où Wilson passait son temps à régler la vie de son comparse.
De l’Inde, on ne verra pendant très longtemps que les intérieurs d’un compartiment. La fratrie a vraisemblablement beaucoup trop d’arriérés traumatiques pour s’épanouir à la religion hindoue. Concentré sur un trio qui ne semble fonctionner qu’à partir du moment, ou, sur une géométrie variable, deux s’unissent pour dire du mal du troisième, le récit avance en patinant volontairement.
La photographie est superbe, prenant à même la pellicule la richesse chromatique du pays visité : jaunes et bleus complémentaires cohabitent avec rutilance, et attestent de la fascination d’Anderson pour cette contrée exotique, n’en déplaise à l’incapacité de ses personnages à s’y mêler réellement.
La famille est ici brisée à l’échelle planétaire : un père mort, une mère silencieuse en retraite dans un lieu qui rappelle furieusement la Narcisse Noir, et des frères dénués de tous repères, blessés physiquement et émotionnellement.
Tout est donc clairement signé Anderson, et le fan retrouvera avec confort ses thématiques habituelles. Pourtant, comme pour la précédente Vie aquatique, un étrange détachement se fait sentir. De la même manière que pour son premier opus, l’inertie des personnages et leur incapacité à progresser contaminent le récit tout entier, qui, malgré ses petites 91 minutes, semble assez long. L’errance, la distance et la réversibilité des personnages a tendance à lasser au fil d’un récit qui, on le comprend vite, peut dérailler à tout moment. Les motifs de l’intrigue eux-mêmes n’ont pas la finesse habituelle, entre la mort d’un enfant pour trouver la voie spirituelle et le délestage des bagages paternels pour s’émanciper, on a connu le scénariste un peu plus subtil.
Inquiétude passagère : les trois films qui succèdent à Darjeeling sont splendides. Considérons ce trip exotique pour ce qu’il est, une parenthèse dans la continuité, chromatique et un peu ronronnante, avant les merveilles à venir.