Si l’affiche laisse penser que ce film serait un précurseur de la série des Dirty Harry, on comprend passée la première scène, que l’histoire tournera moins autour des tueurs que du tué lui-même et surtout d’un destin scellé dès sa rencontre avec la femme qui provoquera sa perte. Histoire d’amour à sens unique, manipulations par le désir et le sentiment, séduction par le mensonge et la flagornerie font de ce film une analyse de rapports amoureux basés sur la domination et la soumission. Les truands et tueurs qui en composent la toile de fond semble être ici pour appuyer par contraste la personnalité du héros.

Assassiné dès les premières minutes, Johnny est pilote amateur chevronné et accessoirement mécanicien automobile, il consacre la plupart de son temps à cette passion jusqu’à ce que débarque dans sa vie la divine Sheila, séductrice invétérée qui tombe immédiatement sous le charme de ce risque-tout au caractère trempé dans la tendresse des sentiments. Leur amour débute sous des brûlures passionnées, étendus et enlacés sur les tapis des chambres d’hôtel, un verre de champagne à la main. Johnny pilote désormais pour l’amour de la belle Sheila et se convainc peu à peu qu’il tient là l’amour ultime et inconditionnel. Seul grain de sable dans cette idylle, l’apparition de Jack, riche golden boy qui sent à plein nez les trafics en tous genres et qui semble exercer une influence notable sur la vie de Sheila. On sent d’emblée arriver l’engrenage infernal qui va happer Johnny qui courra, par amour vers sa perte.

Je n’hésiterai pas à affirmer que, outre les qualités certaines de ce film, John Cassavetes restera sans doute mon plus beau coup de cœur. Gueule inoubliable du Septième Art, il a ce talent tranquille qui donne l’impression que jouer la comédie est d’une déconcertante facilité, comme s’il s’agissait là d’un exercice à peine plus compliqué qu’une inspiration. Sans dire qu’Angie Dickinson est en retrait, quelque chose dans son jeu m’a dérangé, quelque chose de trop théâtral, alors que plus de nuance, une intensité plus maitrisée aurait sans doute ajouté de la force à son personnage. Quant à Ronald Reagan, je ne sais pas si les U.S.A. ont gagné à l’avoir comme président, mais le cinéma n’a rien perdu à ne plus l’avoir comme acteur. S’ils sont excellents (le dur et le dingue), les deux tueurs Lee Marvin en tête, ont finalement une présence à l’écran assez faible, étant là avant tout pour s’écouter raconter le destin tragique de Johnny.

Si elle sait faire preuve de nervosité lorsqu’apparaissent les deux tueurs ou les courses automobiles, c’est bien dans la relation qui lie Sheila et Johnny que l’histoire fait sens. Une relation complexe et pleine de non-dits, une relation qui nous fait douter et suggère tout et son contraire. Au final, on se sait jamais vraiment de la réalité des sentiments de Sheila pour Johnny, femme sous influence ou femme manipulatrice ? Don Siegel prend le parti de maintenir le flou, ajoutant de la qualité à une œuvre déjà bien pourvue, notamment lorsque les deux tueurs semblent faire preuve de principes moraux qu’on n’attendait pas de tels personnages, un décalage que n’aurait pas renié un nommé Tarantino, l’humour en plus.
Jambalaya
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Syndrome de Stockholm...

Créée

le 18 mars 2014

Critique lue 441 fois

13 j'aime

Jambalaya

Écrit par

Critique lue 441 fois

13

D'autres avis sur À bout portant

À bout portant
Docteur_Jivago
6

Derrière le meurtre...

S'ouvrant sur deux tueurs à gages cherchant à tuer un certain Johnny North dans un institut pour non-voyant, The Killers nous entraine dans la vie de ces deux tueurs qui vont chercher à savoir qui...

le 12 oct. 2016

22 j'aime

À bout portant
Ugly
8

Des tueurs aux lunettes noires

Voici un film revu avec plaisir, il ne passe pratiquement jamais à la télé (la dernière fois remonterait à 2011), et même le DVD n'est pas courant dans les promos Fnac. C'est le genre de polar que...

Par

le 28 juin 2020

17 j'aime

8

À bout portant
SanFelice
8

_What do you want ? _ A guy !

Dès le générique, on comprend qu'on n'est pas là pour rigoler ! Une musique nerveuse et des gros plans sur des visages patibulaires. ça promet. Et la scène d'ouverture ne vient pas nous contredire...

le 14 nov. 2012

17 j'aime

22

Du même critique

Le Monde de Charlie
Jambalaya
10

Charlie's Angel

Voici une œuvre miraculeuse, d’une justesse dans les sentiments et les émotions adolescentes qui m’a ramené vingt-cinq ans en arrière. A cette époque, se trouver une identité revenait à les essayer...

le 5 janv. 2014

155 j'aime

26

The Truman Show
Jambalaya
9

Quand la vie de Truman capote...

The Truman Show, un film touché par la grâce, de son réalisateur Peter Weir d'abord, qui a rarement été autant au sommet de son talent depuis, de Jim Carrey ensuite, qui a fait taire avec ce film,...

le 10 déc. 2013

155 j'aime

17

True Detective
Jambalaya
9

Les Enfants Du Marais

True Detective est un générique, probablement le plus stupéfiant qu’il m’a été donné d’admirer. Stupéfiant par les images qu’il égraine patiemment, images d’une beauté graphique rare, images sombres...

le 12 mars 2014

153 j'aime

15