"J'ai peut-être des thunes mais je suis pas une limace !"

Il y a tout de même du bon dans le premier long-métrage de la romancière française Delphine de Vigan. Quelques (rares) dialogues et situations font mouche, le jeu caricatural des comédiens a ses moments de franche comédie et le propos est parfois - je dis bien parfois - inspiré. Car sans vouloir être féministe au sens militant, le film l'est tout de même de manière assez naturelle : abondance de personnages féminins détaillés (quatre en tout, ce qui n'est pas si commun pour un film pas nécessairement estampillé "pour filles") qui sont confrontés à environ autant (voire moins) de personnages masculins. Une belle forme de parité sans forcer le trait. Les comédiennes sont d'ailleurs plutôt bonnes, avec Bonneton en valeur sûre et la jeune et talentueuse Julia Faure, qui révèle quelques facettes intéressantes. Côté hommes, on est plus dans l'indigence et seul Elmosnino tire son épingle du jeu devant les piètres performances, scolaires et outrées, des autres comédiens. Quant à Laurence Arné, personnage central du film, sa présence relève à mon avis autant de la blague que du coup de comm'. Elle n'est pas mauvaise, mais son jeu télévisuel allié à la mise en scène parfaitement plate du film renforce le côté sitcom étirée en long métrage. Car oui, miss Arné est la "vilaine DRH" nympho de l'hilarante série WorkinGirls de Canal+, et si dans le programme court elle a une sexualité débridée, ici c'est tout l'inverse et tout le but de ses recherches. La faire jouer une femme nulle au lit n'est donc ni plus ni moins qu'un clin d'oeil un peu poussif, qui a certes un attrait comique pour qui connaît l'origine de la référence, mais qui semble donner au final naissance à un sketch hypertrophié et plein de défauts.

Passons donc sur le côté téléfilmique de l'ensemble, à peine digne d'une mauvaise série comique française en termes de forme et de réalisation (photo banale, montage paresseux, rythme inégal, narration un peu incohérente, etc) et vantons tout de même les quelques points positifs à mes yeux du résultat : pas de condamnation morale ou de jugement vis à vis du comportement de son héroïne qui est libre de son corps et cherche à mieux le dompter,comme si la hiérarchie phallocratique était pour une fois légèrement renversée. Les hommes sont soit dociles et patients, pleins de respect et de tact (Elmosnino), soit au contraire des coureurs de jupons dominés par des femmes libres et fortes, maîtresses de leurs envies et de leurs désirs, sans aucun remords ni complexe. Agathe la jeune escort est un merveilleux personnage écrit avec beaucoup de justesse, lucide mais pas cynique, pétillante mais pas méprisante, charmante mais pas réifiée. Si la plupart des personnages masculins sont aussi faibles, c'est parce qu'ils ne sont après tout que des pantins. De l'autre côté, la belle soeur d'Emma (passons sur l'onomastique simpliste, elle n'a rien d'une Bovary) que l'on voit peu à peu sombrer dans la dépression de la servitude passive d'une bonne femme au foyer, connaît un beau regain de vitalité en découvrant par des circonstances vaudevillesques un peu usée son corps, et par là son désir et son plaisir. Voir Bonneton revivre le bonheur sexuel et conjugal à travers une contrefaçon de nécrophilie (!) est assez osé, réjouissant et doucement subversif.

Au milieu de tout cela, Emma fait de l'abattage. Elle s'entraîne avec un faire valoir idiot mais qui se fait inquiétant, elle prend des cours, des interviews, bref elle fait tout pour devenir une bête de sexe. Argument principal du film mais mal utilisé car il débouche sur quelques maladresses, des scènes ratées, un curieux sentiment de malaise avant le dénouement qui laisse poindre un soupçon de moralisme, que l'épilogue heureux et atrocement sirupeux ne dissipe guère. Finalement cette sexualité forcée ne lui sied pas et seul "le bon homme" avec qui elle sera rangée peut lui apporter du plaisir. Il y a du bon dans le dénouement (la panne et ses non conséquences), mais l'ambivalence du dernier plan, lourdement surligné par une chanson d'Arthur H, demeure. La musique du film est d'ailleurs placée sous le signe de la chanson française, d'Izia à... Izia (oui oui), en passant par une séquence rigolote sur "Toi mon Toit".

Au final, un film sans grand intérêt du strict point de vue cinématographique, assez pauvre et lourd, mais qui a le relatif mérite de donner à voir quelques situations qui sortent un peu de l'ordinaire en matière de représentation de la sexualité à l'écran. Cela manque de dynamisme, d'un peu plus de frontalité et d'audace dans l'érotisme, bref n'est pas Lars Von Trier qui veut (même si le propos est loin d'être le même), mais on retiendra quelques moments joliment hédonistes via Julia Faure.

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le 20 janv. 2014

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Krokodebil

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