Yerzhanov nous présente avec son long métrage A Dark, dark man, un regard sur son propre pays et propose un scénario basé sur des archétypes du film policier qu’il essayera de détourner avec une dimension ethnologique. Tout y est : les vieux mafieux sans scrupules, le chef de la police ripou jusqu’à la moelle, le jeune policier qui se laisse entraîner dans un système trop gros pour lui et qui plonge la tête la première vers le fond, et enfin, la naïve et délicate journaliste qui veut que justice soit faite, que la vérité triomphe sans avoir une petite idée de ce qu’est la réalité du terrain. Rien de surprenant jusque-là donc, mais quelques innovations ou plutôt devrait-on dire quelques hybridations sont à relever.
En effet, quelques passages se veulent comiques par le biais de l’absurde et notamment avec l’intervention du simplet (Theoman Khos) que les corrompus essaye de faire passer pour coupable. Ayant l’âge mental d’un enfant de 4 ans, ce personnage offre une belle opportunité de provoquer l’amusement chez le spectateur puisqu’une telle situation d’horreur, vécue avec une inconscience extrême par ce personnage, ne peut que nous prendre à dépourvu et nous faire sourire. On peut remarquer que ce n’est pas le seul protagoniste avec des allures enfantines puisque même le personnage principal au début du film se fait reprendre comme un ado par deux « faux vrais » durs, qui comparent leur façon de mimer un vol ou qui font des concours de blagues avant un assassinat ; ou encore la jeune journaliste qui joue avec la jeune fille comme si le danger autour de cette enquête qu’elle a pourtant bien étudiée ne rodait pas autour d’elles. Nous pouvons parler aussi des plans contemplatifs, ayant pour décor un paysage désertique, des poses clopes à faire frémir les vrais cowboys, des feux de camp, et même une référence faite ouvertement avec le chapeau du début , qui sont inspirés directement des codes du western, utilisés pour nous montrer qu’à défaut du wild west, ici c’est le wild Kazakhstan, la loi étant celle du plus fort.
En plus de ces inspirations tirées d’autres registres que celui du film noir et les personnages qui ne sont pas tant stéréotypés que cela, le réalisateur essaye de transmettre des émotions en crescendo jusqu’à un final explosif. Pourtant, le résultat n’est peut-être pas aussi frappant qu’on l’aurait souhaité. Le jeune policier prend conscience qu’il est allé trop loin, que cela doit prendre fin et qu’autant finir en beauté en essayant un minimum de se racheter une conduite. Cette révélation due à la rencontre de la journaliste n’est pas surprenante à ce si près que le réalisateur a évité le piège de créer une pseudo romance qui aurait rendu ce final vraiment cliché. Ce suicide organisé à la Gran Torino, le pistolet d’une autre époque caché sous un manteau, nous laisse sur la « fin », puisqu’on ne sait pas réellement quels ont été les émotions du personnage. Toujours fermés du début à la fin, sans nous proposer une colère noire, un éclat en sanglots ou des regards glacés de peur ; la distance avec ce personnage fut d’une trop grande importance pour que ce climax n’ait un réel impact. Le fait de suivre ces personnages de manière impersonnelle peut être assez déroutant, et nous laisse la désagréable impression que nous n’avons vraiment été que spectateur sans avoir vraiment pu comprendre le fond des choses si tant est qu’elles existent.