Ce qui reste
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Le frisson provoqué par A Ghost Story ne sera pas celui de l’épouvante, mais de la vibration un peu rare que procure l’étonnement face à un film inattendu.
Sur le thème rebattu du fantôme et de la maison hantée, David Lowery propose une relecture d’une simplicité confondante, celle du point de vue du fantôme lui-même. Certes, l’idée n’est pas totalement novatrice, et Jerry Zucker en fit une belle guimauve en 1990 avec Patrick Swayze.
Mais c’est ici à rebours de cette fâcheuse tendance anthropomorphe que s’écrit ce parcours singulier. Il sera question d’amour et de romance, de deuil et de rupture, autant d’invariants d’autant plus assumés comme clichés que notre figure de fantôme sera affublée du conventionnel drap blanc troué pour les yeux. Cette approche, non dénuée d’un humour macabre, joue donc d’une forme de provocation, qu’on retrouve aussi dans les choix de mise en scène initiaux : une vie de couple presque dénuée de mots, et une longueur de plan qui frôle le point Béla Tarr. Des choix un peu radicaux qui frisent la pose, et dont on peut questionner le mobile, avant de les voir se mêler à la nouvelle approche spatio-temporelle que sera la suite du film.
Car A ghost story, comme son titre l’indiquait d’ailleurs clairement, n’est pas une réflexion sur la mort ou la présence spectrale dans l’effet qu’elle fait aux vivants. Il ne s’agit ici bien moins de faire son deuil que d’accomplir sa mort, et d’explorer, avant cette échéance, la latence que certains pourraient nommer le purgatoire.
Prisonnier de ce voile qui l’occulte aux yeux des vivants, le spectre expérimente la solitude, et le passage d’un temps désormais sans ancrage. La singularité du film tient dans cette exploration, qui va larguer les amarres du récit traditionnel pour questionner la présence en un point cardinal : celui d’un lieu, auquel la présence est attachée, et d’une durée fondée sur l’attente d’un avènement qui permettrait à la dissolution totale d’advenir.
L’ellipse permettra de prendre la mesure de cet hors temps presque insupportable : le fantôme est là, observe, à mesure que les habitants de la demeure se succèdent, et que le monde change autour de lui. Belle idée que ce renversement de perspective au gré de laquelle la vanité humaine prend tout son sens. Les êtres se succèdent, leur vie enfantine ou leurs dissertations d’adultes s’empilent sans que la conscience réelle de ce que peut être la mort ne parvienne jamais à se formuler clairement : A Ghost Story permet, en un sens, d’en expérimenter le vertige.
Bien entendu, pour qu’il y ait récit, une quête semble nécessaire. Rivé à ce lieu pourtant détruit (occasionnant l’un des seuls bonds du spectateur, très efficace) et modifié par la course folle de l’humanité qui confond croissance et épanouissement, le mort attend d’accéder au langage qui le fera partir. Si les développements du dernier quart jouent un peu trop du twist dans le jeu qu’il propose avec la temporalité et une relecture du début du récit, ils n’occultent pas pour autant tout ce qui a fait la force de cette élégie singulière.
A l’image de ce personnage presque agréablement hanté par sa propre mort à venir, David Lowery propose, par le biais d’un drap, un dévoilement : celui d’une relecture, par les morts, du temps et de l’espace. L’expérience est troublante, et peut colorer d’un blanc linceul quelques fragments de notre existence étriquée de vivants.
(7.5/10)
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Créée
le 1 déc. 2017
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