L’histoire juge : d’un côté, un monument de la littérature, saga familiale au long cours et description habitée des lieux d’enfance de Steinbeck. Un roman difficilement adaptable au vu de son ampleur et de son souffle. De l’autre, un film d’Elia Kazan, déjà auréolé des succès d’Un tramway nommé désir et de Sur les Quais, et qui permet la découverte d’une étoile filante légendaire, James Dean.


Deux dates incontournables, donc.


Et pourtant, au risque de jouer la carte du blasphème, il y aurait tout de même à redire sur ce film et sa légende.


Certes, il est nécessaire de le resituer dans son contexte, et de souligner à quel point le comédien a su donner vigueur et panache à l’incarnation de la jeunesse, ce qui se confirmera dans son film suivant la même année, La Fureur de Vivre de Ray, étendard de cette génération en voie d’émancipation qu’est l’adolescence. Tout le film ne tourne qu’autour de lui, et bien en a pris à Kazan de n’adapter que la dernière partie du roman pour une relecture, sur une seule génération, de ce texte fondateur de la lutte fratricide entre Cain et Abel.


Mais il résulte de cette performance un déséquilibre qui porte atteinte à l’intégralité du récit. Les autres comédiens peinent à être à la hauteur, et particulièrement le frère aîné, incarnation de la juste trajectoire passive et puritaine, qui du fait de sa fadeur tend à affadir la démonstration.


On attend un peu vainement que Cal trouve une répartie à la hauteur de ses attentes. Certains passages soulignent bien l’impossibilité de communiquer dans la rigidité de codes moraux mortifères, mais sont le plus souvent doublés d’une démonstration assez pesante. Kazan a visiblement du mal à de détacher des conventions dramaturgiques, qu’on voyait déjà à l’œuvre dans Un tramway… : les événements s’enchainent trop rapidement, et imposent des compositions de bravoure qui semblent faire l’ellipse de tout ce qui pouvait contribuer à réellement incarner les personnages. La tragédie est écrite, les rapprochements avec l’intertexte biblique soulignés à l’envi, et l’on ne peut s’empêcher d’avoir le sentiment d’être sur les rails d’une démonstration qui se fera avec ou sans nous.


Peut-être est-ce la faute à l’incandescence du comédien, qui trouble la rotation des satellites autour de lui. Et de se prendre à rêver de ce qu’aurait pu donner sa carrière s’il avait eu le temps de juguler sa force et de trouver chef d’orchestre à sa juste mesure…

Créée

le 6 juin 2019

Critique lue 852 fois

18 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 852 fois

18

D'autres avis sur À l'est d'Eden

À l'est d'Eden
Ugly
7

Parabole biblique

Premier film en couleur et en cinemascope d'Elia Kazan, cette adaptation du livre de John Steinbeck peut surprendre ceux qui l'ont lu car il ne reprend qu'une partie du bouquin, celui-ci couvrant une...

Par

le 10 mars 2019

23 j'aime

10

À l'est d'Eden
pphf
6

A l'est, du nouveau ?

Depuis Viva Zapata, le compagnonnage est long entre Elia Kazan et John Steinbeck. East of Eden est un roman foisonnant, très difficile à adapter. Kazan doit donc opérer des choix – il va concentrer...

Par

le 31 mai 2014

23 j'aime

7

À l'est d'Eden
Sergent_Pepper
6

Rebel without a pause

L’histoire juge : d’un côté, un monument de la littérature, saga familiale au long cours et description habitée des lieux d’enfance de Steinbeck. Un roman difficilement adaptable au vu de son ampleur...

le 6 juin 2019

18 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53