L’histoire juge : d’un côté, un monument de la littérature, saga familiale au long cours et description habitée des lieux d’enfance de Steinbeck. Un roman difficilement adaptable au vu de son ampleur et de son souffle. De l’autre, un film d’Elia Kazan, déjà auréolé des succès d’Un tramway nommé désir et de Sur les Quais, et qui permet la découverte d’une étoile filante légendaire, James Dean.
Deux dates incontournables, donc.
Et pourtant, au risque de jouer la carte du blasphème, il y aurait tout de même à redire sur ce film et sa légende.
Certes, il est nécessaire de le resituer dans son contexte, et de souligner à quel point le comédien a su donner vigueur et panache à l’incarnation de la jeunesse, ce qui se confirmera dans son film suivant la même année, La Fureur de Vivre de Ray, étendard de cette génération en voie d’émancipation qu’est l’adolescence. Tout le film ne tourne qu’autour de lui, et bien en a pris à Kazan de n’adapter que la dernière partie du roman pour une relecture, sur une seule génération, de ce texte fondateur de la lutte fratricide entre Cain et Abel.
Mais il résulte de cette performance un déséquilibre qui porte atteinte à l’intégralité du récit. Les autres comédiens peinent à être à la hauteur, et particulièrement le frère aîné, incarnation de la juste trajectoire passive et puritaine, qui du fait de sa fadeur tend à affadir la démonstration.
On attend un peu vainement que Cal trouve une répartie à la hauteur de ses attentes. Certains passages soulignent bien l’impossibilité de communiquer dans la rigidité de codes moraux mortifères, mais sont le plus souvent doublés d’une démonstration assez pesante. Kazan a visiblement du mal à de détacher des conventions dramaturgiques, qu’on voyait déjà à l’œuvre dans Un tramway… : les événements s’enchainent trop rapidement, et imposent des compositions de bravoure qui semblent faire l’ellipse de tout ce qui pouvait contribuer à réellement incarner les personnages. La tragédie est écrite, les rapprochements avec l’intertexte biblique soulignés à l’envi, et l’on ne peut s’empêcher d’avoir le sentiment d’être sur les rails d’une démonstration qui se fera avec ou sans nous.
Peut-être est-ce la faute à l’incandescence du comédien, qui trouble la rotation des satellites autour de lui. Et de se prendre à rêver de ce qu’aurait pu donner sa carrière s’il avait eu le temps de juguler sa force et de trouver chef d’orchestre à sa juste mesure…