Tous les chemins mènent au drame
A l'origine, c'est d'abord l'histoire d'un scarabée. Un insecte insignifiant qui peut arrêter un chantier. Ou un homme qui peut le relancer. Philippe Miller est en effet une sorte de scarabée, vénéré par ces habitants du Nord de la France peu gâtés par la vie, adoré ici comme l'était jadis ce coléoptère par les Egyptiens pour ce qu'il était, à savoir un symbole de résurrection.
La difficulté, et c'est là le nœud du film, est que le scarabée est aussi un être fragile, impuissant lorsqu'il est sur le dos, incapable de se retourner, et qu'il ne peut faire autre chose que se débattre stérilement jusqu'à l'inéluctable fin.
Philippe Miller est en effet un homme perdu, un petit escroc qui va un peu malgré lui, et du fait de son avidité, se retrouver embarqué dans une histoire impossible, dans une escroquerie trop grande pour lui, dans un projet fou qui va le perdre, et en même temps le sauver.
Tout cela peut paraître sibyllin, aussi vais-je éclairer un peu plus le lecteur n'ayant pas encore vu le film, sans toutefois tout dévoiler, bien entendu. En gros, notre petit escroc joué par un formidable François Cluzet, va relancer le chantier abandonné d'une autoroute et ainsi susciter de nombreux espoirs dans une région où le chômage et la galère sont le lot quotidien de nombreux habitants. Le problème est que le chantier se met en place, que Philippe commence à s'attacher aux gens et qu'au bout d'un moment il ne peut plus revenir en arrière, alors que c'est une immense escroquerie, et que personne ne touchera jamais rien de ce travail colossal. Comment va-t-il s'en sortir ? Est-ce seulement possible ?
Quoi qu'il advienne au final, ce petit escroc sans envergure, ce personnage mal dans sa peau et peu ouvert aux autres va être transformé par l'expérience qu'il affronte, par ses rapports avec les gens qu'il côtoie.
Le mensonge devient réalité, l'arnaque se transforme finalement en un rêve, une utopie que Philippe va avoir à cœur de réaliser. Il y a donc un côté poétique à l'œuvre de Giannoli, même si c'est aussi un film social, ancré dans la dure réalité de certaines communes ravagées du Nord de la France. Giannoli décrit en effet très bien la réalité sociale de certains coins du Nord, où jeunes ou moins jeunes galèrent, dealent ou enchaînent des petits boulots mal payés à temps partiel, et où tout patron qui apporte un tant soit peu de boulot est perçu comme un messie. C'est sans doute cet aspect qui va transformer Philippe, lui faisant comprendre qu'il a un rôle à jouer, qu'il peut-être utile à quelque chose.
Apparemment tiré d'une histoire vraie pourtant peu crédible, je craignais d'avoir du mal à adhérer à un récit improbable, mais ce ne fut pas du tout le cas. L'histoire, a priori farfelue, passe très bien, c'est progressif et plutôt réaliste. Et dans le film, rien n'est inutile, si ce n'est un peu trop de publicité mais il faut bien vivre, un scenario finement léché interdisant tout ennui malgré les deux heures de film et parvenant superbement à distiller une « tension » permanente.
Ce film a également le mérite d'illustrer ce qu'est le travail dans les travaux publics : l'importance de la météo, la difficulté des conditions de travail, la corruption, etc.
Cluzet est parfait dans le rôle, mais il n'est pas seul, convenablement accompagné par Emmanuelle Devos et surtout de jeunes acteurs prometteurs : Stéphanie Sokolinski et Vincent Rottiers incarnant des jeunes en difficulté, sensibles ou à fleur de peau. A noter également une apparition correcte de Depardieu, sans plus, en malfrat de petit calibre.
On notera aussi quelques jolis plans, notamment à la fin du film même si on peut regretter un peu ce côté esthétisant avec ces hélicos pas indispensables, ou ce côté film américain avec l'engin qui forcément, explose.
Bref, malgré ces nuances qui n'enlèvent rien à la qualité d'ensemble du film, A l'origine est une excellente surprise que je vous recommande chaudement.