A l’Ouest des Rails c’est tout d’abord un projet pharaonique, du haut de ses 9h de pellicule et qui renverrait presque Bela Tarr dans un coin avec son petit film de 7h30 …

On me demandra, mais de quoi peut bien parler Wang Bing pour nous tenir la jambe aussi longtemps pardi !
Le réalisateur chinois s’est ici intéressé à un complexe industriel situé au nord est de la Chine, où travaillait jusqu’à plus d’un million d’ouvriers. Plus précisément, Wang Bing, de 1999 à 2001, s’est intéressé à la délinquance, la dégénérescence de ce lieu condamné à fermer, malgré toutes les grandes promesses faites (tiens ça parait universel dit comme ça).
C’est ainsi pour lui l’occasion de s’intéresser à ses très nombreux travailleurs qui vivent (ou survivent) autour et grâce à cette installation industrielle gigantesque.

3 parties complémentaires constituent ce long métrage fleuve. La première, nommée Rouille (elle même d’ailleurs divisée en deux parties) s’intéresse en particulier à la vie au sein de cette usine géante et des déambulations presque fantomatiques de ses occupants au fur et à mesure des fermetures.
Ensuite, dans Vestiges, Wang Bing nous montre la vie des très nombreux habitants résidants aux abords du complexe industriel, une sorte de bidonville géant pourrait on dire, condamnés à émigrer plus ou moins volontairement par la puissance publique, devant ainsi abandonner ainsi toute une vie, mais vous comprenez il faut moderniser mes braves ! Pour autant le réalisateur met aussi à jour leurs conditions de vie plus que précaires et s’intéresse aux relations sociales tissées entre les habitants, avec notamment une focalisation intéressante sur cette jeunesse désoeuvrée mais toujours volontaire.
Et pour conclure, dans Rails, le réalisateur nous promène le long du chemin ferré en allant encore une fois au contact de la faune humaine, de ces cheminots résidant aux abords de ce dernier.

Le point de vue du réalisateur est d’ailleurs particulier, il parait être un peu comme le spectateur, pleinement passif par rapport à ce qu’il se passe. En somme, il est là mais sans être là, ne prenant que très rarement la parole et essayant d’intervenir le moins possible. Le tout jusqu’à donner en extrapolant une sensation de caméra cachée, grâce à une relation de grande intimité qu’il a réussi à obtenir de ses interlocuteurs, semblant être accepté comme un semblable, d’où la possibilité de filmer des scènes de vie privée assez intimistes (notamment ces scènes avec M.Du).

Certes, au niveau du matériel technique, Wang Bing n’a pas bénéficié de toute l’attirail du parfait réalisateur, mais cela ne l’a pas empêché de livrer un documentaire tout bonnement splendide visuellement parlant, grâce à sa petit caméra numérique. C’est notamment le cas de ces magnifiques plans séquences silencieux qui paraissent par certains aspects artisanaux mais finalement ô combien maitrisés. De même et c’est en particulier le cas de la première partie, il arrive parfaitement à retranscrire l’ambiance si particulière présente dans ces usines à moitié à l’abandon, donnant presque un aspect de dystopie à ces décors en plein délabrement et abandon progressif.

Une des choses qui m’a aussi frappé est la grande lucidité de ces pauvres ouvriers chinois, sentant parfaitement la mauvaise position de leur usine, mais finalement condamnés à rester jusqu’à la chute, n’ayant pas d’autres endroits où aller et pouvant être immédiatement remplacé si besoin. Dans ce cas, comment faire preuve de contestation (notamment pour leurs heures non payées) si on peut être changé aussi rapidement qu’on jette un mouchoir et ne dépendant que de ce travail pour vivre ?
Quand on parle du bas de l’échelle, comment ne pas évoquer le haut, notamment cette figure tutélaire du patron, beaucoup évoqué notamment dans les échanges entre les ouvriers mais jamais porté à notre regard, paraissant ainsi comme une figure énigmatique, jamais là mais toujours présente.
J’ai aussi été étonné de la vision qu’ont les différents personnages du documentaire pour leur propre condition, ô combien précaire, notamment quand on voit leur habitat et leurs conditions de vie, plus que vétustes. Il y a chez eux toujours une forme de vision positive, de dignité, où même quand le malheur s’abat, il y aura forcément ensuite une éclaircie dans ce ciel obscurci. Une population qui refuse l’abattement, qui se débat au quotidien pour survivre.

Une oeuvre sociale, humaine, émotionnelle, tout bonnement inoubliable.



PS : A noter que le film est en partie sorti en salle grâce à l’aide de cinémas indépendants français, alors petit cocorico

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