De boue les morts
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Formidable leçon dans le carton initial que cette citation du prologue de Remarque dans son livre, dont le film est l’adaptation :
This book is to be neither an accusation nor a confession, and least
of all an adventure, for death is not an adventure to those who stand
face to face with it.
Nous sommes en 1930, et un film essentiel sur la guerre l’affirme déjà avec force : la mort n’est pas romanesque. Lorsqu’on connait la postérité du film de guerre, cette posture a de quoi laisser bien songeur.
Le film de Lewis Milestone (œuvre américaine, donc, qui suppose qu’on accepte que ces soldats allemands parlent la langue de Shakespeare…) n’est pourtant pas dénué d’ambitions. Par sa longueur (2h15), par l’ampleur de ses scènes collectives et de combat, il restitue avec une force impressionnante celle qu’on nomma la Grande Guerre.
Mais c’est surtout dans sa capacité à dessiner des individualités que le film se distingue. En évoquant dans un premier temps l’embrigadement des écoliers, le récit permet de suivre toute la trajectoire d’une violente désillusion, des élans patriotes au face à face avec l’absurdité barbare. La longueur se justifie ainsi par des scènes du quotidien, où l’on éprouve la faim, la soif, la peur, l’attente jusqu’à l’aliénation, évocation réaliste et éprouvante de l’enfer des tranchées.
La mise en scène s’attache ainsi à placer des personnes dans un cadre savamment découpé, et la plupart du temps oppressant : ainsi de cette très belle première image voyant défiler les soldats dans le cadre de la fenêtre de la salle de classe, une image qu’on retrouvera à plusieurs reprises, notamment lors d’un nouveau défilé, mais sous la pluie. L’exploration des tranchées est aussi l’occasion de travellings en plongées tout à fait saisissants, 27 ans avant ceux que fera Kubrick à l’intérieur même des boyaux dans Les Sentiers de la Gloire. La violence impacte les mouvements de caméra, le rythme et le montage : par les répétitions qui font endurer au spectateur la longueur d’un conflit qui s’embourbe, par la brutalité des combats dans le fracas sonore et la rapidité du montage assez proche du formalisme russe lorsqu’il fait se succéder tous les visages des soldats en gros plans.
Œuvre militante, À l’Ouest rien de nouveau est aussi un plaidoyer pacifiste adoptant le point de vue des soldats, vus avant tout comme des victimes. De ce fait, la séquence de permission durant laquelle les vieux restés au chaud les exhortent à tuer du français se révèle particulièrement acerbe, et permet de mettre dos à dos les donneurs d’ordre (comme le professeur de l’école, qui encourage la prochaine promotion) et la jeunesse devenue chair à canon, et qui devient, dans le fondu enchaîné de l’épilogue, une forêt de croix mortuaires.
La mort n’est pas une aventure, et la guerre n’est pas un spectacle. L’exécution poétique d’un des soldats ayant voulu tendre la main vers un papillon, incursion éphémère et trompeuse de la délicatesse dans sa tranchée en témoigne. Sans grands effets de manche, et surtout sans recours facile à l’héroïsme, ce film américain parvient avec brio à restituer le témoignage d’un allemand survivant, mais détruit par cette expérience. Cette concorde, en 1930, aurait même laisser croire que cette guerre était bien la « der des der »…
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le 6 mai 2018
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