Homme de spectacle(s), magicien visuel, comique et dramatique, décorateur, monteur et truqueur de tous ses ( nombreux ) courts métrages Georges Méliès fut presque l'inventeur de la fiction cinématographique à lui seul. Auto-producteur et réalisateur de centaines de petits films à trucs jonglant entre fabrications d'effets, petits morceaux de burlesque et innovations rythmiques Méliès travailla comme quatre entre les murs lunatiques de son studio de Montreuil, jonglant infatigablement entre saynètes drôlatiques, reconstitutions historiques ( l'excellent film à chapitres reprenant L'affaire Dreyfus, Jeanne d'Arc...) ou oeuvres de fictions plus rares mais également plus ambitieuses telles que Le Voyage dans la Lune, Le Voyage à travers l'impossible... ou encore A la Conquête du Pôle, moyen métrage tardif mais méritant davantage qu'un simple coup d'oeil !
Nous sommes en 1912, soit dix années après la sortie mémorable et mémorielle du Voyage dans la Lune. Georges Méliès a connu la partie la plus faste et la plus heureuse de son existence d'artiste intégral, et son succès semble à présent fléchir sous le poids de la redite et de sa fâcheuse propension à théâtraliser son filmage. Redoutablement fabriqué, visuellement dingue et inventif A la Conquête du Pôle s'avère étrangement symptomatique du style tarissable, comme en triste désuétude, du célèbre ciné-magicien : récit délirant d'une expédition de sept savants venus des quatre coins du monde et en partance pour les terres arctiques ce film d'aventures est l'éventuel chant du cygne du réalisateur à trucs, ce dernier n'y allant pas de main morte quant aux surimpressions ou aux maquettes savamment élaborées.
En résulte un morceau de cinéma édifiant, poursuivant les veines narratives du Voyage dans la Lune et celles du Voyage à travers l'impossible : un tantinet déséquilibrée la structure filmique balbutie entre expositions scénographiques surannées et visions féeriques à la fois naïves et somptueuses ( constellations zodiacales, glaciers saillants, aréopage de chercheurs pittoresques, à la limite du burlesque...). Un film somme, mariage entre fascination et convenance, toutefois indispensable pour qui aimerait connaître - et comprendre - le génie de Méliès.