Faire un film sur Ingmar Bergman relève forcément du défi : comment offrir une vision nouvelle et pertinente sur un cinéaste qui a fait autant couler d’encre ? Margarethe von Trotta tente sa chance et délivre sa vision très intime de cette personnalité complexe, et de son héritage.
Pour ce faire, elle retourne sur les lieux mémorables de l’œuvre de Bergman, comme cette plage de galets du Septième sceau, qui, à l’image de Monument Valley pour John Ford, porte à jamais la signature de celui qui la sublima en 1957. Margarethe von Trotta raconte comment lui est venue son admiration pour le cinéma de Bergman, qui est peut-être, plus que beaucoup d’autres, la synthèse de toutes les formes d’expression artistique. Un art total qui ne pouvait avoir pour géniteur qu’un homme d’exception.


Le documentaire alterne entre monologues de la réalisatrice, qui parle de son rapport personnel à Bergman, analyses techniques de certaines séquences, images d’archive du tournage de certains films, et interviews plus classiques permettant d’élargir les points de vue et d’affiner le portrait.
On compte de nombreux intervenants, dont des membres de la famille de Bergman, qui expliquent comment ils le voyaient en tant que parent et artiste, comment il parvenait ou non à joindre les deux et comment il survit encore aujourd’hui à travers son œuvre.
On y voit aussi Liv Ullman se souvenir de ses plus grands rôles, de ses récompenses, des anecdotes de tournage ou de sa première rencontre avec celui qui lui donnera un enfant en 1966. De ces entretiens se dégage un tour d’horizon des grandes thématiques chères au réalisateur suédois, leurs articulations et leur évolution au fil des films.


On découvre la personnalité cryptique de Bergman, ses idées mystérieuses, sa croyance en la magie, l’invisible et les fantômes, sa passion méconnue pour la musique, et même l’épisode de la dépression, de ses déboires psychiatriques et suicidaires jusqu’à la réalisation salutaire de Persona.
L’insistance est mise sur son rapport intime à l’enfance synonyme de créativité, face à la vie d’adulte désenchantée qui l’angoisse continuellement. Par ailleurs, Margarethe von Trotta souligne la place extraordinaire qu’il donne aux femmes, sa manière de les sublimer, de faire ressortir leur fragilité comme leur force de caractère.


Les témoignages permettent aussi d’en savoir plus sur son comportement derrière la caméra, et notamment sa volonté de capter l’authenticité chez ses acteurs, son attitude aussi fascinante qu’imprévisible, son perfectionnisme, ou encore son absence d’ego malgré une détermination lorgnant vers l’opiniâtreté, jusqu’à ses rapports conflictuels avec les équipes techniques et ses pairs ; bref son dévouement total pour son art.


Enfin, le documentaire s’intéresse à l’héritage qu’Ingmar Bergman aura laissé au monde du septième art. On comprend à quel point il fut important à son époque, et que sans lui il n’y aurait peut-être jamais eu de Nouvelle Vague, en tant qu’il ouvrit le cinéma à une modernité, à une liberté et donna le premier une place de choix à la psychanalyse sur grand écran.


Si À la recherche d’Ingmar Bergman est un voyage fort intéressant, il manque sans doute d’une vision d’ensemble. Son apparence fragmentaire empêche un véritable fil rouge, et le tout demeure assez superficiel pour peu que l’on connaisse bien les films du cinéaste. Il vaut sûrement plus pour ses anecdotes et ses incursions dans l’intime que pour ses réflexions cinématographiques. Le choix de Margarethe von Trotta est donc de s’intéresser presque uniquement à l’homme, au détriment de son œuvre de manière plus profonde : c’est ce qui fait son originalité, mais c’est aussi sa limite.


Pour autant, À la recherche d’Ingmar Bergman est un moment pour lequel il est difficile de bouder son plaisir, pour peu que l’on apprécie le travail de ce réalisateur fascinant. Et de saluer la passion communicative de Margarethe von Trotta qui accouche d’un documentaire très honnête.



« Je me suis toujours senti seul dans le monde. C’est ce qui m’a poussé à me réfugier dans la réalisation de films, même si le sentiment de communauté est une illusion », Ingmar Bergman.



[Article à retrouver sur Le Mag du Ciné]

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le 8 janv. 2019

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Jules

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