Faire une suite à un diptyque désormais culte a tout du projet casse-gueule. D’autant que Michel Hazanavicius est parti et que c’est Nicolas Bedos aux commandes. Certes, ce dernier a fait ses preuves du côté du drame romantique, avec deux (très) beaux premiers films que sont Monsieur & Madame Adelman et La Belle Époque. Mais connaissant son humour et les positions socio-politiques qu’il défend à travers lui, la rencontre avec le personnage d’OSS était à la fois une évidence et un piège dangereux. Bedos se la joue volontiers « vieux con », adepte sur les réseaux sociaux des provocations, des « on peut plus rien dire » et autres formules de boomers un peu réacs blessés dans leur égo et leur masculinité par une époque qui pointe clairement leur génération du doigt.


Bref, le challenge était de réinvestir un personnage lui aussi « vieux con », lui aussi en décalage avec son époque et enfermé dans un passé supposé glorieux car romancé à l’extrême (La Belle Époque n’est pas si loin, finalement). Le piège était, évidemment, de manquer le second degré du personnage et de délivrer un message « vieux con » au premier degré, en se servant de la bêtise d’OSS 117 comme totem d’immunité (« Regardez, c’est pas moi qui le dis, c’est lui, et tout le monde sait qu’OSS est à prendre au second degré, voyons, vous ne pouvez quand même pas croire que c’est ce que je pense vraiment ! »). Le suspense est insoutenable, attention… Nicolas Bedos est tombé dans le piège (ou plutôt, il y a sauté à pieds joints). Incroyable. Personne ne l’avait vu venir. L’inverse aurait presque été décevant.


Tu n’avances pas du tout, Cannabis...


Prenons les choses dans l’ordre. L’idée de base de ce troisième film était pourtant pas mal. Téléphonée et déjà vue mille fois, mais efficace et finalement nouvelle dans l’univers d’OSS 117. À savoir : raconter un passage de flambeau entre un OSS qui commence à prendre conscience de son décalage, devenu un vrai has been, et une nouvelle génération pleine de fraîcheur et maîtrisant les codes de son époque. D’un côté, un OSS 117 qui n’est plus dans le coup en termes de conditions physique, de séduction, de maîtrise technologique, d’idées politiques ; de l’autre, un OSS 1001 beau et vigoureux, à la mode, tombeur de ces dames et au fait des nouveaux gadgets d’espion. Un binôme somme toute classique sur le papier, mais qui fonctionne plutôt bien – davantage grâce à la complicité et au talent de Jean Dujardin et Pierre Niney que par l’écriture réelle de leur duo, honnêtement.


Le problème, c’est que ce duo semble avoir été pensé comme fin en soi : tout le reste ne sert que de prétexte à leur binôme. Ni la trame principale, d’une platitude effarante, ni les péripéties censées la ponctuer, d’une mollesse et d’une paresse affligeantes, n’ont de consistance propre. Pire, le tempo du film est catastrophique, étirant trop certaines situations comiques jusqu’à les rendre redondantes, ou expédiant certaines scènes d’action qu’on aurait espérées plus généreuses. Au milieu, une progression narrative inerte, sans enjeux, et un climax final aussi illisible que gênant. Le film donne l’impression d’être un épisode transitoire de série télévisée, le genre d’épisode qui se concentrerait sur la rencontre entre deux personnages avant de les faire partir ensemble à l’aventure dans le suivant. Concrètement, à la fin du film, lorsqu’on fait le bilan des enjeux, c’est comme s’il ne s’était rien passé. La situation en Afrique n’a pas bougé, OSS 117 est toujours un vieux con, les messages progressistes des révolutionnaires africains n’auront été qu’un pet dans la mare, et même OSS 1001 sera mis sur la touche aussi vite qu’il en était sorti.


C'est marrant ce que tu dis parce que c'est pas tellement marrant...


Mais le plus gros défaut de ce OSS 117, le plus grave, c’est qu’on ne rit pas beaucoup. D’accord, la scène où Dujardin charme un serpent est très drôle, tout comme celle où Pierre Niney se castagne dans un bar en arrière-plan, pendant qu’au premier, Dujardin explique à quel point c’est un incapable et un fragile. Deux scènes réussies, avec de vraies idées de mise en scène ou de ressort comique. Mais du reste, on oscille entre redites irritantes de plusieurs structures de blagues des deux premiers volets, références anachroniques sans intérêt à certaines expressions actuelles tellement rabâchées qu’elles ne sont plus drôles du tout (« je suis pas raciste, j’ai un ami noir »), et moments comiques trop conscients d’eux-mêmes car délimités comme tels. On sent que Nicolas Bedos cherche la nouvelle punchline, la phrase qui peut devenir culte et être sortie du contexte (comme certaines des deux premiers), la vanne pour laquelle on se rappellera du film… Mais le processus est tellement forcé qu’on a l’impression que le film nous hurle au visage : « eh, pause, là, écoute bien, j’en ai une super drôle ; écoute bien hein, retiens la formule ; la blague c’est : … ». Aucune spontanéité, aucune sincérité, aucune passion.


Il s’agirait de grandir...


Moins parodique et léger, bien plus cynique et provocateur, OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire souffre de ses immenses moments de malaise (cette ouverture où OSS 117 tape les fesses de toutes les employées de sa brigade, avant de lâcher en réponse à l’une d’elles un « me too » tout droit sorti des enfers du mauvais goût), de ses pincettes grosses comme des bras de tractopelle par peur d’être taxé de racisme ou de sexisme (ce que le film est effectivement parfois, en plus), de son absence de personnage servant de contre-point à OSS 117 pour le renvoyer à ses contradictions (aucun personnage féminin fort – un comble, quand on se souvient de Dolorès ou Larmina –, et un OSS 1001 qui aurait pu avoir ce rôle s’il n’avait pas été volontairement réduit au silence), et plus généralement de sa faiblesse d’écriture autour de thématiques qui étaient théoriquement passionnantes (le rapport des hommes à leur féminité, l’évolution des mœurs en France à l’orée des années 80, la responsabilité française dans le colonialisme, le néo-colonialisme commercial, etc.).


Un naufrage, tout juste sauvé de la médiocrité par son duo d’acteurs inévitablement excellent, et quelques rares situations favorables à la comédie. Une provocation d’adolescent, où Nicolas Bedos semble régler ses comptes avec certaines communautés d’internet qui lui en veulent – et cela se sent un peu trop –, par le moyen d’un film qu’il semble avoir moins fait par amour des personnages ou de l’univers, voire même par volonté de faire rire, que par pur ego-trip au nom d’une vendetta cathartique.


[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]

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le 4 août 2021

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Jules

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